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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
19 janvier 2024

Jean-François Revel manque à la réflexion française !

« L'hyperterrorisme emprunte à notre civilisation moderne ses moyens technologiques pour tenter de l'abattre et de la remplacer par une civilisation archaïque mondiale qui serait, elle, pour le coup, génératrice de pauvreté et qui serait la négation même de toutes nos valeurs. » ("L'Obsession anti-américaine", éd. Plon, 2002).



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Le grand penseur français Jean-François Revel est né il y a 100 ans, le 19 janvier 1924 à Marseille. Il est mort le 30 avril 2006 au Kremlin-Bicêtre, à l'âge de 82 ans. L'écrivaine et chroniqueuse Claude Sarraute, son épouse depuis 1967, l'a rejoint au cimetière Montparnasse après sa mort le 30 juin dernier. Famille d'écrivains puisque son fils Matthieu Ricard, docteur en génétique (né de la peintre Yahne Le Thoumelin), a aussi publié de nombreux livres de philosophie (et la sœur de ce dernier, Ève Ricard, est une poétesse).

Comment qualifier Jean-François Revel ? Le plus simple aurait été de dire "intellectuel" mais généralement, cela sous-entendrait "intellectuel de gauche", or, de la gauche, il ne pouvait pas vraiment s'y référer, lui qui a combattu les idées socialistes avec la force d'un puissant anticommunisme pour défendre les idées de liberté, un combat qu'il engageait aussi contre l'extrême droite et la droite nationaliste, pas plus libérales que la gauche.

Je pourrais dire : philosophe (après tout, il est un normalien et un agrégé de philosophie, qui a enseigné cette matière au début de sa vie active), mais aussi économiste, sociologue, politologue, historien, et plus sûrement journaliste et éditorialiste, il écrivait des chroniques de 1966 à 1981 dans "L'Express" dont il est devenu le directeur de 1978 à 1981, puis dans "Le Point" de 1982 à 2006. Encore plus sûrement écrivain, conseiller littéraire chez des éditeurs (René Julliard, Jean-Jacques Pauvert, Robert Laffont, etc.) de 1957 à 1978, et avant tout, essayiste de 1957 jusqu'à la fin de sa vie (au moins trente-trois ouvrages dont le dernier, sorti en 2002, un petit manuel pour fustiger l'anti-américanisme de ses compatriotes contemporains, chez Plon).

Enfin, ça compte aussi pour s'immortaliser, Jean-François Revel était aussi un académicien, élu le 19 juin 1997 au fauteuil numéro 24 de l'Académie français, un fauteuil prestigieux puisque c'était celui de Colbert, La Fontaine, Marivaux, Volney, Victor de Broglie, Sully Prudhomme, Henri Poincaré, Alfred Capus, Louis Pasteur Vallery-Radot, Étienne Wolff... et après lui, Max Gallo. Il fut reçu sous la Coupole le 11 juin 1998 par Marc Fumaroli. Lors de son installation, l'Académie étudiait étrangement ce mot, "mesuré", dont la deuxième définition est : « Qui a, qui montre de la modération, de la circonspection, de la sagesse. C'est un homme mesuré en tout. Ton mesuré. Des termes peu mesurés. ». Les idées libérales, le pragmatisme défendus par Jean-François Revel pourraient ainsi se caractériser par ce petit adjectif du dictionnaire.

Lors de cette réception académique, Marc Fumaroli l'a chaleureusement accueilli à coup de devises latines : « À Claude Imbert, vous pourriez dire, cher Jean-François, paraphrasant Virgile : Amicus haec otia fecit. Depuis que "Le Point" vous permet d'exercer le journalisme sans rompre tous les jours en visière les démons de la communication, que vous avez si courageusement dénoncés dans "La Connaissance inutile", votre devise n'est-elle pas le mot de Sénèque : Otium sine litteris mors est, et vivi hominis sepultura ? Ces longues années au "Point" ont fait de vous un magistrat de la presse et des lettres et un sénateur à vie de la politique française. Faute de siège au Sénat de la République, récompense des hommes de parti, votre indépendance s'est tournée vers nous. Notre Compagnie, qui est faite d'une conjonction de singularités, l'a reconnue volontiers pour sienne et vous reçoit aujourd'hui, avec tous ceux que vous avez été tour à tour et à la fois, depuis votre enfance à "La Pinède", à la table de son propre banquet d'Immortels. (…) Votre humanisme laïc, que je situerais volontiers dans la tradition d'Alain, avec plus de chaleur généreuse dans votre cas, ne s'oppose pas à la science. Au contraire, il a besoin d'elle, elle a besoin de lui, il la complète dans l'ordre des mœurs. Il vise comme elle à rendre ici-bas plus commode, plus raisonnable, moins douloureux et moins bref. ».

(Pour info, la première phrase latine parodiant Virgile signifie : "C'est un ami qui vous a fait ces loisirs", la phrase de Virgile était : "Deus nobis haec otia fecit", qui signifie : "C'est un Dieu qui nous a procuré ces loisirs" ; et la seconde de Sénèque : "Le repos sans l'étude est une espèce de mort qui met un homme tout vivant au tombeau").

Les médias n'honorent pas vraiment Jean-François Revel à l'occasion de son centenaire, ce qui est une injustice intellectuelle (on appréciera toutefois l'hommage de France Musique qui rediffuse, ce vendredi 19 janvier 2024, l'émission "Règle de trois" du 2 février 1997 dont l'invité était Jean-François Revel, interrogé par Jacques Chancel).

Pourtant, les idées de Jean-François Revel sont sans doute aujourd'hui au pouvoir, même si Emmanuel Macron semble peu s'en référer. Raymond Aron, Jean-François Revel, Jacques Marseille, et quelques autres, ils étaient peu nombreux en France, dans les 1970 et 1980, celles du triomphe idéologique des idées socialistes, à prôner les idées de liberté économique, d'équilibre budgétaire, de prospérité et de progrès scientifique. Le monopole intellectuel était réservé aux penseurs gauchistes, la main sur cœur, généreux au point d'accepter de redistribuer l'argent des autres, mais pas capables de proposer le moyen d'accroître la richesse économique, or, la redistribution des richesses ne peut s'entendre que si on crée auparavant de la richesse.

Le dernier livre de Revel sur l'anti-américanisme évoque ces habitudes de penser, être contre les États-Unis alors que c'est à ce pays que nous devons nos libertés. L'anti-américanisme est à la mode depuis des décennies en France, tant en économie, que dans le domaine de la culture, et, on le voit bien aujourd'hui, dans celui de la géopolitique, sans comprendre que nos intérêts vitaux sont liés à ceux des États-Unis. Et ceux qui utilisent De Gaulle pour justifier leur anti-américanisme devraient un peu mieux relire et réécouter De Gaulle qui, aux moments cruciaux, n'a jamais failli dans la loyauté de l'alliance avec les Américains, en particulier lors de la crise de Cuba.

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Cet ancien résistant qu'était Jean-François Revel, qui s'est engagé dans la guerre peu après son entrée à Normale Sup., était très lucide de sa notoriété et dans ses mémoires (sorties en 1997), il aimait dire : « J’ai croisé beaucoup de gens remarquables qui ne sont jamais devenus célèbres et beaucoup de gens célèbres qui n’étaient pas remarquables du tout. ». Conscient que l'antigauchisme n'était pas un but, il a très vite compris que la chute du mur de Berlin et l'effondrement de l'URSS ne signifiaient pas la fin de l'histoire et qu'un nouveau courant politique et idéologique allait prendre la relève de la menace sur les démocraties libérales : « À l’Est comme à l’Ouest, le risque pour les réformes, ce n’est pas le retour de Marx, c’est le populisme nationaliste, anarchique et démagogique. » (1993).

Ainsi, recueillie dans "L'Abécédaire de Jean-François Revel" publié le 3 novembre 2016 aux éditions Allary (préfacé par Mario Vargas Llosa), cette réflexion, à la rubrique Convergence : « Le grand phénomène dans l’antilibéralisme, c’est la convergence entre l’extrême droite et l’extrême gauche. Le Front national est antilibéral; il est contre la mondialisation. Ce député, qui est, je crois, dans le groupe Pasqua, l’est également. Quand il dit tous les journalistes sont vendus au pouvoir politique et le pouvoir politique est vendu au grand capital, c’est du Bourdieu. ». Revel répondait aux "diatribes" de Paul-Marie Coûteaux (député européen proche de Charles Pasqua) contre les élites supposées vendues au libre-échangisme le 5 mars 2000 sur la chaîne Paris Première.

Sens de la formule, ce recueil le démontre en citant cette remarque corrosive de Jean-François Revel : « C’est un peu triste : nous avions un spécialiste des États-Unis qui s’appelait Tocqueville ; aujourd’hui, c’est José Bové ! ».

Du reste, ce recueil réalisé par trois auteurs connaissant excellemment bien l'œuvre de Jean-François Revel (Henri Astier, Jacques Faule et Pierre Boncenne) est présenté par l'éditeur ainsi : « Jean-François Revel, mort en 2006, est l’un des intellectuels les plus incisifs de la seconde partie du XXe siècle. La religion, le fanatisme, l’argent, l’esprit critique, le socialisme, la Constitution, la gastronomie… Sur chaque sujet, la pensée de Revel frappe par son indépendance d’esprit, sa lucidité, son humour. L’objet de cet abécédaire est de faire redécouvrir Revel. Peu d’intellectuels qui ont été aussi clairvoyants, restent si actuels. Il est urgent de relire l’auteur de "La Connaissance inutile" et du "Voleur dans la maison vide". ».

Chargé de rendre hommage à Jean-François Revel le 4 mai 2006 pour l'Académie française, Pierre Nora a proposé de décrire trois caractéristiques de l'éditorialiste : son érudition, son anticonformisme et sa passion de la raison.

Érudition : « C’est d’abord son esprit proprement encyclopédique, servi par une mémoire d’éléphant, une résistance physique herculéenne, une nature boulimique et un féroce appétit de tout. Si la politique et la philosophie politique ont fini par constituer l’axe de sa production, comment ne pas rappeler le connaisseur de bonne chère et de bons vins qui nous a gratifié d’ "Un festin en paroles" ? Et l’auteur d’une anthologie de la poésie française, si fortement marquée par ses goûts personnels qu’on n’y trouve ni Aragon, ni Claudel, ni Péguy ? Et le chroniqueur d’art de "L’Œil et la Connaissance", à mon sens un de ses meilleurs livres ? Et l’historien des idées qui a eu l’audace de se lancer dans "Histoire de la philosophie occidentale", qui se donnait ouvertement l’ambition de mettre toute la tradition de la philosophie à la portée du grand public. Jean-François Revel avait, des grands humanistes, le don de rendre accessibles les connaissances les plus spécialisées dans le langage classique de la culture générale. C’est son encyclopédisme appliqué qui a fait de lui un journaliste, et permis à cet écrivain journaliste de passer de la chronique des idées de notre temps à l’éditorial politique avec la même aisance. ».

Anticonformisme : « Le second trait qu’on retiendra de lui, c’est l’allergie à toutes les formes de conformisme et d’inerties mentales. Revel a été toute sa vie un infatigable "bousculeur" des vérités admises. Pamphlétaire ? Oui, le plus grand de son époque ; mais parce que la capacité d’indignation qu’il avait conservée de sa jeunesse se nourrissait de malice, de bonne humeur et de cette petite touche d’outrance et de mauvaise foi qui fait les bons pamphlétaires. Oui, parce qu’il était trop intelligent pour ne pas savoir que ce qui fait la force du pamphlet n’est pas le paradoxe, l’artificiel, mais le courage du bon sens, la satire de ceux qui n’ont d’yeux que pour ne pas voir. ».

Passion de la raison : « Revel possédait enfin cette passion de la raison qui le rapprochait de Raymond Aron. Là est la dynamique de tous ses livres, ce qui, par nos temps d’absurdité et de déraison, avait de quoi alimenter un rebondissement permanent. Cette passion, il l’a poussée jusqu’à l’esprit de système. Le redoutable rouleau compresseur de la dialectique revélienne n’a peut-être trouvé sa limite que dans la confrontation avec son fils, Mathieu, qui avait fait, après une thèse de biologie moléculaire sous la direction de François Jacob, le choix du bouddhisme, du Népal et du service auprès du dalaï-lama. C’est ce qui rend si touchant "Le Moine et le Philosophe", où l’on sent, chez cet athée radical à l’occidentale, la nostalgie secrète d’une autre forme de sagesse. ».

Chargé aussi de prononcer son éloge lors de sa réception comme successeur de Jean-François Revel à l'Académie, le 31 janvier 2008, Max Gallo résumait l'homme au mot liberté : « J’ai rejeté avec lui et expérimentalement, en étudiant telle ou telle période de notre passé, ces "lois de l’Histoire" qui ne sont que le masque du renoncement à la liberté créatrice de l’homme. "L’Histoire est un théorème indémontrable", écrit Revel dans "Le Voleur dans la maison vide". "Elle est l’enfant de notre seule pensée et de notre besoin d’interrogation, d’explication, de synthèse. Comment pourrions-nous éprouver ce besoin si l’Histoire, qu’elle soit collective ou individuelle, ne pouvait pas à tout instant devenir autre qu’elle n’est ? L’Histoire ne fixe aucun rendez-vous, elle ne pose que des lapins. Seul l’homme peut se fixer des rendez-vous à lui-même, et seul il a le pouvoir de s’y rendre". Revel place donc l’homme au centre du jeu, c’est-à-dire face à ses responsabilités individuelles. C’est pour les fuir qu’on prétend que des mécanismes incontrôlables, économiques, sociaux ou politiques, ont le pouvoir de déterminer notre destin. Nous sommes libres. Nous sommes comptables de notre vie. Notre volonté est le ressort du monde. Instruit par Jean-François Revel, la seule loi de l’Histoire que je reconnaisse aujourd’hui est celle de la surprise, qui renvoie à notre indestructible liberté. (…) Jean-François Revel le polyglotte était un cosmopolite. Il avait vécu en Algérie, au Mexique, en Italie, aux États-Unis, et parcouru la plupart des continents. Il avait donné des dizaines de conférences, publié des centaines d’articles. Ses livres avaient été des succès mondiaux. Et, chaque jour, il nourrissait sa réflexion en dévorant les quotidiens de plusieurs pays. Mais cet homme ouvert au monde demeurait enraciné dans sa civilisation, on pourrait presque dire son terroir. ».

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Un penseur décapant et universaliste qui s'exprime bien, cultivé et pédagogue, et capable de quitter les sentiers battus pour bousculer la mode et l'ère du complotisme, c'était Jean-François Revel, qui manque beaucoup trop au débat français en ce moment. Il n'aurait certainement pas soutenu Emmanuel Macron dont il aurait certainement critiqué les failles de communication, l'autoritarisme de la gouvernance, ainsi que les hésitations nombreuses, mais il aurait toutefois su fustiger encore plus durement ceux qui, aujourd'hui, semble vouloir constituer son opposition politique alors qu'ils ne proposent que du vide.

Pour le décapant, je propose ici quelques réflexions revéliennes.

Et la première, il l'a exprimée le 3 décembre 1998 devant ses amis académiciens à l'occasion d'un des rares discours qu'il a prononcés sous la Coupole, son discours sur la Vertu : « Notre siècle, bien entendu, mérite un jugement sévère et vaut bien un examen de conscience, fertile qu’il fut en génocides, crimes et injustices. Mais, précisément, ne devons-nous pas nous inquiéter de constater que ces monstruosités furent perpétrées au nom de la morale sous l’impulsion des grands sentiments ou des grandes utopies politiques ? Au nom d’une ferveur patriotique, d’une race ou d’un système prétendus moralement supérieurs ? Et avec la conviction de servir une éthique propice à la félicité ultime de l’espèce humaine ? L’aveuglement idéologique qui permit de prendre le Mal absolu pour le Bien absolu, ce contresens fatal qui dérégla notre époque ne nous incite-t-il pas à tenter de rétablir dans sa vérité et de restaurer dans sa légitimité cet idéal de la vertu, qui, du siècle de Périclès à celui de la Révolution française, fut au centre de la méditation morale comme de la construction politique ? (…) L’idée sotte, contradictoire et dévastatrice que l’on puisse atteindre le bien en faisant le mal, ou du moins que l’on ait licence d’emprunter des voies immorales pour guider les peuples vers le bonheur, cette aberration néfaste et naïve a amplement fourni la preuve de sa fausseté. Non contente d’être vaincue au regard de la dignité humaine, elle a perdu aussi sur le terrain même où elle était censée gagner: l’efficacité. Fallait-il tant de crimes pour n’engendrer que des famines ? Fallait-il tant de ruse pour figurer au tableau d’affichage de la basse canaillerie financière ? Fallait-il tant de mensonges pour recevoir, dans la dernière scène de la tragédie, qui finit toujours par se jouer, la paire de gifles de la vérité ? Les grands hommes, qui ont véritablement servi les intérêts de leur patrie et de l’humanité, en notre siècle, je le répète, sont ceux qui ont agi d’abord par devoir. Et si l’honnêteté était la véritable habileté ? Et si nous devions enfin savoir une fois pour toutes préférer Montesquieu à Machiavel ? ».

Dans "La Grande Parade" (2000, éd. Plon), Revel rejetait le libéralisme vu comme une idéologie : « Le libéralisme n’a jamais été une idéologie, j’entends n’est pas une théorie se fondant sur des concepts antérieurs à toute expérience, ni un dogme invariable et indépendant du cours des choses ou des résultats de l’action. Ce n’est qu’un ensemble d’observations, portant sur des faits qui se sont déjà produits. ». Au contraire du communisme : « Aucune des justifications avancées depuis 1917 en faveur du communisme réel n’a résisté à l’expérience ; aucun des objectifs qu’il se targuait d’atteindre n’a été atteint : ni la liberté, ni la prospérité, ni l’égalité, ni la paix. Si bien qu’il a disparu, sous le poids de ses propres vices plus que sous les coups de ses adversaires. Et pourtant, il n’a peut-être jamais été aussi farouchement protégé par autant de censeurs aussi dénués de scrupules que depuis son naufrage. (…) L’argument selon lequel le communisme serait démocratique parce qu’il a contribué à la lutte antifasciste n’est pas plus recevable que celui qui consisterait à dire que le nazisme fut démocratique parce qu’il a participé à la lutte contre le stalinisme. (…) Être assassiné par Pol Pot est-il moins grave que d’être assassiné par Hitler ? Il n’y a pas lieu d’établir de distinction entre les victimes des totalitarismes "noir" ou "rouge". Le totalitarisme nazi n’a pas fait mystère de ses intentions : il entendait éliminer la démocratie, régner par la force et développer tout un système de persécutions raciales. On nous dit que les communistes avaient un idéal. Je suis presque enclin à trouver cela encore pire. Parce que cela signifie qu’on a délibérément trompé des millions d’hommes. Parce qu’on ajoute ainsi aux crimes le mensonge le plus abject. » (le dernier extrait de ce livre provient d'une chronique publiée le 14 novembre 1997 dans "Le Figaro" avec ce titre : "La comparaison interdite").

Dans "Le Regain démocratique" (1992, éd. Fayard), il défendait ardemment l'individualisme, bête noire de la classe politique : « D’où le seul sentiment, chez [les responsables de l’État], qui fasse l’unanimité de tous les partis et dans tous les pays : la haine farouche qu’ils nourrissent pour ce qu’ils nomment avec horreur : "l’individualisme". Ce mot désigne pour eux le cauchemar suprême, le soupçon qu’il subsiste quelque part un fragment de l’esprit humain qui échapperait à la sphère politique, au collectif, au communautaire, au domaine public : le leur. ».

Il n'aimait d'ailleurs pas vraiment la classe politique : « En général, malheureusement, les qualités requises pour conquérir le pouvoir et pour le garder n’ont presque aucun rapport avec celles qui sont nécessaires pour l’exercer avec compétence et impartialité. » ("Ni Marx ni Jésus").

Pas la peine d'être philosophe sans définir le philosophe, c'était l'objet d'un de ses premiers ouvrages, "Pourquoi des philosophes" (1957, éd. Julliard) qui reçut le Prix Félix-Fénéon (parmi d'autres lauréats de ce prix, on peut citer : Albert Memmi, Alain Robbe-Grillet, Michel Butor, Philippe Sollers, Patrick Modiano, Angelo Rinaldi, Jean Echenoz, Hervé Guibert, etc.) : « Philosopher n’est pas régner sur les connaissances du reste du genre humain comme un lointain propriétaire terrien sur des domaines qu’il administre nonchalamment et ne visite jamais. (…) Sartre est le seul auteur philosophique du XXe siècle dont on puisse dire qu’il ne doit sa réputation qu’à son talent, et qui d’ailleurs ait une réputation. Le seul dont on soit sûr qu’il aurait fait de la philosophie, ou l’équivalent de sa philosophie, même si l’Université n’avait pas existé. (…) Les philosophes n’ont pas pour habitude de sous-estimer leur talent. À en croire chacun d’entre eux, l’humanité ne commence vraiment à penser qu’avec lui. (…) Le problème consiste donc à se demander pourquoi une idée qui, en langage normal, est une banalité ou une stupidité, se transforme, par la vertu de son insertion dans la psychologie, en une importante découverte qui exige le concours de plusieurs savants assistés de leurs élèves. ».

Jean-Paul Sartre vient d'être mentionné. Jean-François Revel s'est focalisé sur ce mystère le 21 avril 1990 sur Europe 1 où il donnait régulièrement une chronique entre 1989 et 1992 puis sur RTL entre 1995 et 1998 : « Pourquoi l’écrivain français le plus représentatif des années 1950 et 1960 a-t-il haï la liberté, lui le philosophe de la liberté ? Pourquoi ce penseur si intelligent approuva-t-il la nuit intellectuelle du communisme ? Pourquoi le fondateur de la fameuse revue "Les Temps modernes" ne comprit-il rien à son temps ? Pourquoi ce raisonneur si subtil a-t-il été l’un des plus grandes dupes de notre siècle ? Au lieu d’escamoter ces réalités, mieux vaudrait tenter de les expliquer. Le problème n’est pas celui des aberrations d’un homme. C’est celui de toute une culture. Pour le résoudre, inspirons-nous de ce que Sartre a enseigné, surtout pas de ce qu’il a fait, de sa philosophie de la responsabilité, surtout pas de ses actes irresponsables, de sa morale de l’authenticité, surtout pas de son idéologie de la falsification. ».

Dans "Fin du siècle des ombres" (1999, éd. Fayard), l'agrégé académicien pressentait les ravages de l'écriture inclusive en écrivant : « Byzance tomba aux mains des Turcs tout en discutant du sexe des anges. Le français achèvera de se décomposer dans l’illettrisme pendant que nous discuterons du sexe des mots. La querelle actuelle découle de ce fait très simple qu’il n’existe pas en français de genre neutre comme en possèdent le grec, le latin et l’allemand. D’où ce résultat que, chez nous, quantité de noms, de fonctions, métiers et titres, sémantiquement neutres, sont grammaticalement féminins ou masculins. Leur genre n’a rien à voir avec le sexe de la personne qu’ils concernent, laquelle peut être un homme. Homme, d’ailleurs, s’emploie tantôt en valeur neutre, quand il signifie l’espèce humaine, tantôt en valeur masculine quand il désigne le mâle. Confondre les deux relève d’une incompétence qui condamne à l’embrouillamini sur la féminisation du vocabulaire. Un humain de sexe masculin peut fort bien être une recrue, une vedette, une canaille, une fripouille ou une andouille. De sexe féminin, il lui arrive d’être un mannequin, un tyran ou un génie. Le respect de la personne humaine est-il réservé aux femmes, et celui des droits de l’homme aux hommes ?? Absurde ! Ces féminins et masculins sont purement grammaticaux, nullement sexuels. Certains mots sont précédés d’articles féminins ou masculins sans que ces genres impliquent que les qualités, charges ou talents correspondants appartiennent à un sexe plutôt qu’à l’autre. On dit : "Madame de Sévigné est un grand écrivain" et "Rémy de Goumont est une plume brillante". On dit le garde des Sceaux, même quand c’est une femme, et la sentinelle, qui est presque toujours un homme. Tous ces termes sont, je le répète, sémantiquement neutres. Accoler à un substantif un article d’un genre opposé au sien ne le fait pas changer de sexe. Ce n’est qu’une banale faute d’accord. (…) Une langue bouge de par le mariage de la logique et du tâtonnement, qu’accompagne en sourdine une mélodie originale. Le tout est fruit de la lenteur des siècles, non de l’opportunisme des politiques. L’État n’a aucune légitimité pour décider du vocabulaire et de la grammaire. Il tombe en outre dans l’abus de pouvoir quand il utilise l’école publique pour imposer ses oukases langagiers à toute une jeunesse. (…) Si notre gouvernement veut servir le français, il ferait mieux de veiller d’abord à ce qu’on l’enseigne en classe, ensuite à ce que l’audiovisuel public, placé sous sa coupe, n’accumule pas à longueur de soirées les faux sens, solécismes, impropriétés, barbarismes et cuirs qui, pénétrant dans le crâne des gosses, achèvent de rendre impossible la tâche des enseignants. La société française a progressé vers l’égalité des sexes dans tous les métiers, sauf le métier politique. Les coupables de cette honte croient s’amnistier (ils en ont l’habitude) en torturant la grammaire. Ils ont trouvé le sésame démagogique de cette opération magique: faire avancer le féminin faute d’avoir fait avancer les femmes. » (ce livre étant un recueil de chroniques, celle-ci a été en fait publiée en 1998).

Anticommuniste de raison, Jean-François Revel a eu souvent l'occasion de condamner le communisme. Par exemple, dans son livre "Ni Marx ni Jésus" (1970, éd. Robert Laffont) : « Agir, c’est se déterminer en fonction de la réalité et non point selon des possibilités qui en sont absentes. Sans doute cette réalité est-elle parfois médiocrement réjouissante, mais dans l’instant donné c’est précisément à cette médiocrité qu’il faut parfois savoir faire face. (…) L’excommunication dédaigneuse de toute forme de capitalisme évolutif, de la révolution industrielle et du progrès technique, au nom d’un socialisme de placard, équivaut à choisir le sous-développement pour ne pas réviser un dogme. ».

L'un de derniers écrits de Jean-François Revel se trouve sous la forme d'une interview publiée le 30 mars 2006 dans "Le Point" : « J’applique réellement le marxisme, qui veut que seule l’expérience valide la théorie. Si donc le socialisme n’a marché nulle part, c’est qu’il est vicieux dans son principe. (…) Le malheur veut que le socialisme démocratique se laisse entraîner, par calcul électoral ou par complexe d’infériorité, dans cette surenchère. On a vu comment la faillite électorale de la gauche en 2002, au lieu de la conduire à réviser ses conceptions et sa stratégie, l’a poussée au contraire vers une sorte de néogauchisme réchauffé, inspiré par la peur d’être affaiblie par l’extrême gauche. (…) Une partie de la droite, intimidée elle aussi, verse à son tour dans une rhétorique antilibérale. ». Il allait mourir un mois plus tard.


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Sylvain Rakotoarison (14 janvier 2024)
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