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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
7 juin 2019

Vincent Lambert n’est pas encore sauvé…

« Il n’existe pas d’autre voie vers la solidarité humaine que la recherche et le respect de la dignité individuelle. » (Pierre Lecomte du Noüy).



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La situation de Vincent Lambert a été emportée dans un tourbillon médiatique gigantesque lors de la dernière semaine de la campagne des élections européennes. C’était l’occasion pour de nombreux leaders d’opinion d’évoquer un sujet que, semble-t-il, ils connaissaient très mal si l’on en juge aux approximations sinon erreurs souvent répandues. C’est le risque de toute médiatisation, que tout le monde s’empare d’une situation totalement personnelle, privée, et d’étaler vérités et contrevérités, jugements de valeur et réflexions à l’emporte-pièce. C’est bien sûr le lot de toute médiatisation et il suffit d’interroger des personnes proches ou impliquées dans des faits-divers marquants pour comprendre que leur vie, petit à petit, ne leur appartienne plus beaucoup. La lumière fait plus de mal que de bien, en général. Si le sujet n’était pas aussi dramatique, on aurait pu croire avec légèreté que cet emportement allait se résoudre par un "référendum d’initiative citoyenne" sur : faut-il arrêter, oui ou non, arrêter l’alimentation et l’hydratation de Vincent Lambert ? Je frémis à l’idée. Le secret médical ne doit pas être une vaine expression.

Pourtant, malgré tous ces excès, j’y ai trouvé un intérêt général très important, et il faut s’en féliciter : beaucoup de gens qui n’avaient pas trop réfléchi sur les problèmes de fin de vie ou de dépendance (les deux n’étant pas forcément couplés, justement), commencent à en prendre conscience. Tout le monde ne terminera pas sa vie en situation de dépendance, soit parce que malheureusement la vie se sera arrêtée trop tôt et trop brutalement, soit parce qu’au contraire, par chance, la vie aura été indulgente et même en grand âge, les forces physiques et mentales auront persévéré malgré les rides. Mais il est probable que tout le monde aura un proche qui puisse se retrouver un jour dans une situation de dépendance terminale. C’est aussi une conséquence de l’augmentation de l’espérance de vie.

L’effet de cet emballement médiatique, c’est qu’il y a eu une augmentation très forte des rédactions de directives anticipées, qui correspondent en quelques sortes aux dernières volontés en cas d’impossibilité d’exprimer sa volonté sur la suite à prendre du cours de sa propre vie. J’en ai déjà parlé abondamment, car elles sont l’un des objetifs de la loi Leonetti du 22 avril 2005 et de la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 (notons que la plupart des journalistes ne connaissent qu’une des deux lois, pourtant, la dernière a été élaborée pendant plus d’un an il n’y a pas si longtemps, en 2015-2016, avec une bonne publicité des pouvoirs publics et des parlementaires).

Les directives anticipées ne sont cependant pas la panacée, car la volonté d’un bien-portant est rarement la même que d’une personne très malade, dépendante, voire "condamnée" (dont la guérison n’est plus envisageable). Ceux qui travaillent dans les services de soins palliatifs le savent bien : cette volonté est fluctuante, à mesure que le patient est désespéré ou au contraire rempli d’espoir, et sinon d’espoir, d’amour. Car l’entourage joue un rôle capital dans cette volonté : les patients qui bénéficient d’un proche qui les aime, qui s’occupe d’eux, qui va les voir régulièrement, demandent rarement "d’en finir", même s’ils avaient pu l’imaginer le vouloir lorsqu’ils étaient en bonne santé (heureusement, beaucoup sont encore capables de s’exprimer).

C’est pourquoi, indépendamment de Vincent Lambert, cette agitation médiatique, qui a pu engendrer des réflexions à faire frémir (surtout si l’on commence à évoquer les coûts de la sécurité sociale !), a été globalement positive : la fin de vie et la dépendance sont l’affaire de tous.

Concernant la situation très difficile de Vincent Lambert, il est étonnant que de nombreux journalistes la découvrent seulement maintenant alors qu’elle est l’objet d’une chronique judiciaire très dense depuis plus de six ans. Vincent n’est ni un "cas", ni une "affaire" (lire à ce propos le très beau texte de Bruno Saintôt, universitaire et spécialiste d’éthique biomédical), contrairement hélas à ce qu’évoquent la plupart des médias, et il n’est "qu’une" personne, individuelle, dans sa singularité, dans sa non-exemplarité en ce sens que lui ne représente nulle autre personne même s’il s’est trouvé, bien malgré lui, au centre de discussions voire de polémiques.

La première polémique concerne son instrumentation, et elle n’est pas le fait des parents de Vincent mais principalement des groupes de pression (appelons-les comme cela) qui veulent imposer la culture de la mort, à savoir, l’euthanasie, à l’ensemble de la société française. Pourtant, à ce sujet, la loi Claeys-Leonetti, avec la sédation profonde et continue, a permis de rendre tout le monde d’accord : supprimer coûte que coûte la souffrance et la douleur (c’est l’objet des lois sur la fin de vie depuis le début des années 2000), et la "technologie" utilisée dans les soins palliatifs le permet aujourd’hui, si ce ne sont les budgets encore insuffisants, tout en refusant de franchir, de transgresser l’interdiction de tuer. Je n’y reviens pas ici, j’en ai déjà beaucoup parlé précédemment.

Ces groupes de pression se sont emparés de la situation terrible de Vincent Lambert pour faire avancer leur idéologie de la mort auprès de la société française, notamment en professant des contrevérités : Vincent n’est pas "branché", son cerveau n’est pas détruit, son cœur bat naturellement, il vit, respire, dort, se réveille normalement, sans l’aide médicale, il est en revanche dans une situation de très grande dépendance. Il n’est pas un légume, et ceux qui le disent, ceux qui parlent d’un "état végétatif" ont une piètre image de ce que doit être la dignité humaine (qu’ils proclament pourtant sans arrêt par ailleurs). Vincent est un humain, et il a droit à garder sa dignité, aussi fragile et vulnérable qu’il puisse être.

C’est d’ailleurs sur cette dernière phrase que la seconde polémique récurrente a pris plus d’ampleur la dernière semaine de la campagne des élections européennes. En effet, François-Xavier Bellamy, tête de la liste LR et catholique revendiqué, a exprimé, lui aussi, toute sa compassion pour Vincent Lambert qui a droit à sa dignité : « Il n’y a pas de vie indigne d’être vécue. ». Que le jeune philosophe se rassure, ce n’est pas cette prise de parole (courageuse et indépendante) qui est la cause de l’effondrement électoral du parti qu’il a représenté, la cause est bien plus politique et beaucoup plus profonde qu’une "erreur de communication" et l’on peut juste saluer le courage de l’homme qui dit ce qu’il pense sans arrière-pensée électorale (en prenant la parole, il risque beaucoup plus qu’en ne prenant pas la parole).

Plus généralement, c’est la supposée religion des parents de Vincent qui est montrée du doigt comme résultante de leurs actions judiciaires. En oubliant de comprendre ce qu’est l’amour d’une mère. Je ne les ai jamais entendus revendiquer leur religion, et même s’ils le faisaient, la loi du 9 décembre 1905 est très claire sur le sujet : ils ont le droit de croire ce qu’ils veulent, religion ou pas religion.

Du reste, l’Église catholique est très prudente sur le sujet. Elle a mis longtemps avant de proposer une réflexion. Elle a insisté sur la singularité de Vincent Lambert en tant que personne humaine, et comme toute personne, sa situation est unique et particulière et ne peut être la représentation d’une idée ou d’une contre-idée. L’Église a insisté sur la dignité de la personne humaine, et la nécessité, pour une société humaine, de secourir les plus fragiles, les plus vulnérables de ses enfants. Par ailleurs, elle a toujours tenu à respecter pleinement l’ensemble des opinions, ainsi que tous les membres de la famille de Vincent qui vivent tous dans le drame, tant ses parents que son épouse, dont les positions sont respectables. Ceux qui critiquent aujourd’hui, à ce sujet, l’Église catholique pourraient d’abord avoir autant de respect envers elle que l’Église en a envers eux.

Pour preuve, d’ailleurs, que les catholiques ne déterminent pas ce débat, c’est que le premier médecin qui a voulu arrêter l’alimentation et l’hydratation est un catholique, en tout cas, il l’a affirmé sans pour autant se présenter comme tel dans son action de médecin.

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Revenons à la situation de Vincent Lambert. L’arrêt de son alimentation et hydratation avait commencé le matin du lundi 20 mai 2019 avec la plus grande stupeur de sa famille (les parents n’ont même pas pu lui dire au revoir). Lorsque la cour d’appel de Paris a finalement ordonné la reprise des soins dans la soirée du 20 mai 2019, j’étais naturellement soulagé et je m’étais réjoui que Vincent fût (presque) sauvé à court terme.

Certes, la réaction des avocats des parents de Vincent, aux propos inutilement triomphalistes (ce n’était pas une élection, la situation reste toujours dramatique), me paraissait déplacée, et je comprends que le Premier Ministre Édouard Philippe a pu être choqué par cette réaction (lui qui a, comme d’autres, vécu un drame familial). Du reste, les avocats eux-mêmes l’ont regretté dès le lendemain. La tension et la tristesse dans l’absence totale d’espoir ont pu justifier d’avoir salué de manière incontrôlée cette décision de justice inattendue.

D’ailleurs, la réaction de l’avocat du neveu de Vincent, qui demande l’arrêt de toute alimentation et hydratation depuis des années, n’est pas plus sobre et respectueuse des institutions, si l’on en croit cette affirmation de considérer la décision de la cour d’appel de Paris comme une « escroquerie intellectuelle » en se déclarant « estomaqué par une décision d’une brutalité et d’une violence incroyables »… comme si laisser mourir Vincent était moins brutal et moins violent (dans quelle société je vis ?).

Le triomphalisme était inopportun pour plusieurs raisons : par respect pour toutes les personnes de la famille, quelles qu’elles soient, pour le fait que cette décision veut attendre la décision du Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU (prévue dans environ six mois), sans préjuger de la suite, et surtout, parce que, dans une sorte d’acharnement judiciaire à vouloir arrêter la vie de Vincent, le gouvernement a décidé le 31 mai 2019 de se pourvoir en cassation contre la décision de la cour d’appel de Paris. L’audience aura lieu le 24 juin 2019 et donc, tout pourrait être remis en cause dans quelques jours.

La situation préférable, c’est que Vincent quitte un service de soins palliatifs qui n’est pas le sien (il ne bénéfice d’aucun soin palliatif, il n’est pas en fin de vie, il n’y a pas d’acharnement thérapeutique ni d'obstination déraisonnable, il n’y a aucune souffrance selon les experts judiciaires), mais d’un service spécialisé qui sait s’occuper des personnes qui sont dans sa situation de grande fragilité, notamment en renforçant les stimulations, en opérant des soins de kiné qu’il n’a plus actuellement. C’est pour obtenir le transfert dans une unité adaptée que les avocats des parents ont déposé le 27 mai 2019 une plainte pour mise en danger de Vincent contre son médecin et son hôpital, et l’audience est prévue le 26 novembre 2019, sans savoir d’ailleurs où sera Vincent et s’il sera toujours vivant. Il est donc loin d’être sauvé.

Je veux terminer cet article par une lettre très émouvante publiée dans "Le Point" le 21 mai 2019. Son auteur, c’est le (célèbre) journaliste sportif Jacques Vendroux (ancien directeur du service sport de Radio France) qui parle de son copain footballeur, Jean-Pierre Adams, 71 ans, qui est dans le coma depuis trente-sept ans à cause d’une erreur d’anesthésie à l’occasion d’une petite opération sans gravité. Il respire sans aucun branchement. Jacques Vendroux écrit : « Il entend, il sursaute quand il y a un bruit soudain, il comprend peut-être, mais il ne peut plus parler. ».

Écœuré par l’instrumentalisation de la situation de Vincent, le journaliste s’adresse à la femme de son ami : « Je sais que des gens sont venus le voir dans sa chambre, persuadés qu’il était branché ou qu’il y avait une machine cachée sous le matelas, mais il n’en est rien. Tu lui donnes ses repas toi-même, il déglutit encore. Bernadette, tu es pour moi une héroïne : tu as pris ton mari avec toi, chez toi. C’est toujours avec beaucoup de respect que tu prends soin de lui. Tu ne dis jamais que tu t’occupes de lui, mais que tu travailles pour ton Jean-Pierre. (…) Attaquant, [votre petit-fils] vient régulièrement lui raconter ses buts. Là, on voit bien qu’il entend, qu’il écoute. (…) Je sais que tu souffres de voir ton mari prisonnier de son silence, que tu es toujours très amoureuse et que les moments sont difficiles à vivre, mais je suis avec toi. ».

La tragédie de Vincent Lambert, c’est la division profonde de sa famille. Et cela, aucune loi ne pourra l’empêcher. La concorde ne se décrète pas.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (06 juin 2019)
http://www.rakotoarison.eu



Pour aller plus loin :
Vincent Lambert n’est pas encore sauvé…
François-Xavier Bellamy, la dignité et l’instrumentalisation de Vincent Lambert.
Vincent Lambert doit-il mourir ?
Déclaration de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, sur Vincent Lambert le 13 mai 2019 (texte intégral).
Réflexion du Père Bruno Saintôt, directeur du département Éthique biomédical aux facultés jésuites de Paris, sur Vincent Lambert le 13 mai 2019 (texte intégral).
Déclaration de la Conférence des évêques de France sur la fin de vie le 22 mars 2018 (texte intégral).
Vincent Lambert, sa vulnérabilité et son droit à la vie bafoué.
Le destin tronqué de Vincent Lambert.
Vincent Lambert entre la vie et la mort.
La tragédie judiciaire et médicale de Vincent Lambert.
Le retour de la peine de mort prononcée par un tribunal français.
Le livre blanc des personnes en état de conscience altérée publié par l’UNAFTC en 2018 (à télécharger).
Vincent Lambert et la dignité de tout être humain, des plus vulnérables en particulier.
Réglementation sur la procédure collégiale (décret n°2016-1066 du 3 août 2016).
Le départ programmé d’Inès.
Alfie Evans, tragédie humaine.
Pétition : soutenez Vincent !
Vers une nouvelle dictature des médecins ?
Sédation létale pour l’inutile Conseil économique, social et environnemental.
Vincent Lambert et Inès : en route vers une société eugénique ?
Le congé de proche aidant.
Stephen Hawking et la dépendance.
Le plus dur est passé.
Le réveil de conscience est possible !
On n’emporte rien dans la tombe.
Le congé de proche aidant.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Un fauteuil pour Vincent !
Pour se rappeler l'histoire de Vincent.
Dépendances.
Sans autonomie.
La dignité et le handicap.
Alain Minc et le coût des soins des "très vieux".
Euthanasie ou sédation ?
François Hollande et la fin de vie.
Les embryons humains, matériau de recherche ?
Texte intégral de la loi n°2016-87 du 2 février 2016.
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La leçon du procès Bonnemaison.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
Indépendance professionnelle et morale.
Fausse solution.
Autre fausse solution.
La loi du 22 avril 2005.
Chaque vie humaine compte.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190605-vincent-lambert-fdv2019cp.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/vincent-lambert-n-est-pas-encore-215696

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/06/06/37408981.html



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