Li Peng, de Tiananmen à Hongkong
« La liberté est le pain que les peuples doivent gagner à la sueur de leur front. » (Félicité Robert de Lamennais, 1834).
L’un des dirigeants chinois les plus importants de l’après-Mao, Li Peng est mort ce lundi 22 juillet 2019 à Pékin, à l’âge de 90 ans (il est né le 20 octobre 1928 à Chengdu). Pour l’histoire, il restera le boucher de Tiananmen, qui prit la pleine responsabilité du massacre du 4 juin 1989 après près de deux mois de manifestations pacifiques sur la principale place de Pékin.
Même si la responsabilité finale de la boucherie est revenue à Deng Xiaoping lui-même, qui craignait que le désordre politique allât mettre en péril ses réformes économiques, ce qui était d’ailleurs paradoxal puisque ces réformes prônaient une certaine ouverture vers le monde extérieur, Li Peng fut toujours considéré comme un conservateur, au point qu’il était lui-même en opposition avec Deng sur le plan économique, cherchant à renforcer ou à maintenir la planification dans l’économie chinoise.
Li Peng a été au sommet du pouvoir dans la Chine populaire pendant une dizaine d’années : il fut Premier Ministre du 24 novembre 1987 au 17 mars 1998, puis, en voie de placardisation (au cause de la limitation à deux mandats de cinq ans, à l’instigation du Président Jiang Zemin), il fut Président de l’Assemblée nationale populaire du 15 mars 1998 au 15 mars 2003. Son influence politique se prolongea cependant jusqu’au 22 octobre 2007, en raison de la présence d’un de ses proches, Luo Gan (84 ans), au sein du comité permanent du bureau politique du parti communiste chinois (PCC), qui occupait la fonction stratégique de secrétaire de la commission des Affaires politiques et juridiques du PCC.
Bien que conservateur et contre les réformes économiques qui ont fait de la Chine l’un des pays les plus puissants du capitalisme mondial quelques décennies plus tard, Li Peng a dirigé un pays qui fut dans une croissance économique exceptionnelle (à deux chiffres) tandis que les pays européens étaient en pleine crise. Dans sa "retraite" après 1998, Li Peng s’est préoccupé de la bonne avancée de la construction du monumental barrage des Trois-Gorges, barrage très contesté (le plus grand du monde), évoqué notamment par l’excellent film chinois "Les Éternels".
Li Peng aura survécu trente années à la répression de Tiananmen. Au moment où il quitte ce monde, un autre vent de liberté s’est levé. Deng Xiaoping avait choisi l’option du carnage pour qu’il fût exemplaire et que le peuple chinois ne se risquât plus à réclamer sa liberté politique. Il a fallu aussi trente ans pour que ce peuple ressortît avec courage défier le pouvoir chinois central. En fait, ce n’est pas vraiment le même "peuple" puisqu’il s’agit d’une ancienne colonie anglaise.
En effet, le territoire de Hongkong, qui compte aujourd’hui 7,5 millions d’habitants, anciennement britannique, fut rétrocédé à la Chine populaire le 1er juillet 1997 après l’accord passé entre le Royaume-Uni et la Chine le 19 décembre 1984. La rétrocession s’est réalisée au cours d’une cérémonie officielle en présence du Prince Charles. Hongkong est alors devenu une région administrative spéciale avec une grande autonomie par rapport au reste de la Chine populaire. Chaque 1er juillet, des dizaines de milliers d’habitants ont l’habitude de manifester pour maintenir une organisation démocratique (jusqu’à 500 000 manifestants le 1er juillet 2014).
La Chef de l’Exécutif de Hongkong depuis le 1er juillet 2017 (élue le 26 mars 2017, Carrie Lam a présenté le 29 mars 2019 un amendement à la loi d’extradition qui romprait avec l’indépendance du système judiciaire de Hongkong (les justiciables hongkongais pourraient ainsi être jugés en Chine continentale), ce qui remettrait en cause de manière grave l’autonomie du territoire. L’idée était de formaliser une coopération judiciaire entre Hongkong, la Chine continentale, Macao (une autre région administrative spéciale de la Chine) et Taiwan. Des manifestations pacifiques ont commencé dès que l’idée de cet amendement fut émise, en février 2019, pour s’y opposer. La première importante a eu lieu le 31 mars 2019. L’examen en première lecture de cet amendement a eu lieu le 3 avril 2019 par le Conseil législatif. Une autre manifestation s’est déroulée le 28 avril 2019.
Le 9 juin 2019, les manifestations ont rassemblé plus d’un million de personnes mais Carrie Lam a annoncé qu’elle ne reculerait pas en maintenant l’examen en deuxième lecture de la loi au 12 juin 2019. La fermeté de l’administration a provoqué une manifestation de près de deux millions de personnes le 16 juin 2019, mais elle avait cependant cédé en reportant finalement l’examen de la loi (le Conseil législatif était alors fermé à cause des manifestations), sans pour autant y renoncer.
La poursuite des grandes manifestations a conduit Carrie Lam à finalement renoncer à ce projet d’amendement le 8 juillet 2019, également à présenter ses excuses, mais les revendications des manifestations ont évolué en réclamant sa démission.
Pour l’instant, les manifestations sont restées heureusement pacifiques, accompagnées parfois de grèves, et si les forces de l’ordre ont réagi (on a déploré près de 150 blessés, dont 22 policiers, et une cinquantaine de personnes arrêtées), la situation était pour l’instant pacifique, bien que très tendue. Toutefois, la manifestation du 21 juillet 2019 a connu de grandes violences provenant de groupes mafieux qui auraient été soutenus par des pro-gouvernementaux pour réprimer des militants pro-démocratie (près d’une cinquantaine de blessés par triques et cannes). Un député a aussi menacé de mort un autre député au cours d’un débat télévisé le 23 juillet 2019 (la tombe des parents du député menaçant a été alors vandalisée en réaction à cet échange télévisé).
Par ailleurs, au moins cinq manifestants se sont suicidés pour cette cause du 15 juin au 22 juillet 2019, des jeunes gens âgés de 22 à 35 ans, dont trois femmes (Ling-Kit Leung, Hiu-Yan Lo, Hang-Yan Wu, Mak et Yuen-Chung Fan).
Ce qui n’était qu’une disposition judiciaire pour éviter l’impunité de criminels qui se seraient réfugiés à Hongkong a pris dès le début une tournure politique essentielle. Pour beaucoup de manifestants, cet amendement (désormais abandonné) aurait été le cheval de Troie d’une reprise en main de la Chine continentale sur la Justice hongkongaise. Mais comme dans tout conflit, les revendications vont désormais plus loin en demandant la démission du pouvoir. Ce qu’il se passe à Hongkong est donc, en quelques sortes, un début de renaissance du souffle de liberté que Li Peng avait réprimé à Pékin trente ans auparavant dans le sang.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 juillet 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Li Peng, de Tiananmen à Hongkong.
Manifestations à Hongkong.
La Paix céleste selon la Chine.
Chu Teh-Chun.
La Chine au cinéma : une fidélité à soi-même, dans le film "Les Éternels".
La Chine communiste peut-elle devenir une grande démocratie ?
Li Rui.
Li Peng a 90 ans.
La maoïsation de Xi Jinping.
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La diplomatie du panda.
Xi Jinping et la mondialisation.
La Chine à Davos.
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Wang Guangmei.
Mao Tsé-Toung.
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Les J.O. de Pékin.
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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190722-li-peng.html
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/li-peng-de-tiananmen-a-hongkong-216833
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