The show must (Carlos) Ghosn
"Stupeur et Tremblements" version Renault-Nissan.
Amusant de voir que même Jean-Luc Mélenchon, le 8 janvier 2020 à la matinale d’Europe 1, était prêt à le soutenir, appréciant le côté rebelle, rebelle contre ce qu’il appelle l’injustice japonaise. Si moi-même j’ai beaucoup de respect et de fascination pour le côté patron, je les ai beaucoup moins pour le côté évadé (non fiscal).
C’est vraiment un roman qui dépasse les plus folles fictions. Ce mercredi 8 janvier 2020, ce fut une journée Carlos Ghosn dans l’actualité, en dépit de l’escalade de violence en Irak, en dépit des grèves persistantes en France sur la réforme des retraites, en dépit de beaucoup d’autres sujets bien plus "conséquents"…
Il est incontestable que Carlos Ghosn, X Mines, avec ses trois nationalités, française, brésilienne et libanaise, le sauveur de Nissan, a été un grand patron, efficace, surdoué, très intelligent, polyculturel, indispensable, mais aussi, il est probablement cynique et habile. Lorsqu’il a été arrêté à l’aéroport de Tokyo le 19 novembre 2018, on pouvait imaginer une affaire de type Dominique Strauss-Kahn au Sofitel (lui aussi arrêté dans un aéroport), ou encore une affaire de type Jérôme Cahuzac qui avait caché de l’argent dans un compte bancaire secret à l’étranger.
Carlos Ghosn a été enfermé dans une prison japonaise avec des conditions de vie très difficiles du 19 novembre 2018 au 5 mars 2019 et du 4 avril 2019 au 25 avril 2019, pour deux affaires. Il a été libéré sous caution et régime très difficile (interdiction d’avoir des contacts extérieurs sauf une fois par semaine, email, téléphone, etc.) et ses procès sont prévus pour le printemps 2020 et l’hiver 2021. Beaucoup trop loin, loin dans le temps, loin de sa famille, de sa femme…
Dès le 30 janvier 2019, Carlos Ghosn a crié au complot contre les dirigeants de Nissan qui l’ont trahi et qui ont manœuvré pour le faire chuter. Concrètement, il a quitté la présidence de Nissan, la présidence de Renault le 24 janvier 2019, et la présidence de Mitsubishi Motors le 21 juin 2019. Ses retraites chapeau et indemnités de départ ont été supprimées ainsi que ses stocks options. Mais faut-il le plaindre ? Carlos Ghosn a demandé d’être traité comme n’importe quel citoyen, pas moins bien.
L’histoire aurait dû se poursuivre calmement, avec un ancien patron qui crie son innocence et piégé dans l’enfer judiciaire japonais, qui deviendrait juste un sujet de conversation lointain. Mais le rusé a réussi, à la surprise générale, de ses avocats en premier, à "s’évader" de sa résidence surveillée. On dit qu’avec de l’argent, on peut tout s’acheter, mais il faut quand même avoir à la fois une grande habileté et un sacré culot pour oser quitter la légalité et devenir un fugitif. Prendre le maquis ! Le 29 décembre 2019, il a réussi à décoller du Japon et à atterrir à Beyrouth après une escale en Turquie. Charmant cadeau de Noël pour son épouse dont il était séparé depuis si longtemps.
Remis de ses émotions (on ne sait toujours pas les conditions exactes de son rapatriement au nez et à la barbe des juges japonais), Carlos Ghosn, à grand renfort de publicité, a tenu une conférence de presse le 8 janvier 2020 à Beyrouth pendant plusieurs heures.
Ne manquant pas de combativité, il a voulu répondre à tout ce que la justice japonaise lui reproche. La langue est anglaise (ou la langue des journalistes qui l’ont questionné), l’esprit vif, la gestuelle très empathique (il a fait de nombreux moulinets), il a cherché à se défendre, documents à l’appui.
Je serais bien incapable de dire si, sur le fond, ce qu’on lui reproche (jusqu’aux rumeurs) est basé sur un poil de vérité ou pas, mais il a eu l’air en tout cas rondement convaincant et surtout, sûr de lui. Des journalistes français ont déjà travaillé, le soir dernier, sur ses arguments qu’ils ont partiellement démontés.
De toutes les déclarations que Carlos Ghosn a faites, il y a celle déjà connue du complot contre lui, pour éviter la fusion entre Renault et Nissan. Mais le vrai scoop, une confirmation, c’est qu’il travaillait, en automne 2018, sur le rapprochement de son groupe Renault-Nissan-Mitsubishi avec Fiat-Chrysler, dont un nouveau round de négociation était prévu pour janvier 2019. Il n’a échappé à personne que le 6 juin 2019, Fiat a retiré son offre de fusion avec Renault et que le 2 novembre 2019, Fiat et Peugeot (le groupe PSA) ont officialisé leur fusion.
S’il a refusé de mettre le Liban en difficulté avec le gouvernement japonais, il a toutefois confirmé qu’il allait demander ses droits à Renault. À 65 ans, il va demander en effet ses droits à la retraite. Cynisme, provocation, assurance démesurée ? Carlos Ghosn voudrait retourner la situation en attaquant Renault dont, a-t-il précisé, il n’a pas démissionné mais s’est seulement "retiré" de la présidence car il était en prison.
Pointilleux, Carlos Ghosn a voulu répondre à toutes les accusations, selon lui infondées, de la justice japonaise, mais aussi à tout ce qui a entaché sa réputation, les informations sur la fête au château de Versailles, et même sur ses traits de caractère supposé être celui d’un autocrate et d’un cupide. Il a utilisé chaque fois des arguments convaincants mais peut-être pas inattaquables : pas cupide car refusé l’offre de General Motors qui portait sur un salaire deux fois plus élevé, mais en oubliant de dire qu’au même moment, il négociait au sein de son groupe les moyens d’augmenter très significativement sa rémunération.
Autre argument très comptable : les dirigeants de Nissan l’ont fait chuter pour quelques dizaines de millions d’euros (qu’est-ce que c’est pour un homme si riche ?) alors que depuis son "affaire", l’action de Nissan s’est effondrée et a fait perdre plus de 5 milliards d’euros aux actionnaires. Seules les trois entreprises du groupe (Renault, Nissan, Mitsubishi) ont eu des résultats décevants en 2019, tandis que le reste du marché était en croissance d’environ 12% en moyenne. Carlos Ghosn est bien dans cette optique "moi ou le chaos".
Ses réflexions sur la justice japonaise sont intéressantes bien qu’étonnantes : elles sont presque les mêmes que celle de Nicolae Ceausescu lorsqu’il a été jugé très expéditivement, avec sa femme, à savoir qu’il refusait d’être jugé par une justice qui considère que le prévenu est coupable dans tous les cas. Drôle d’idée d’imaginer que le justiciable pourrait choisir sa juridiction. Ainsi, lorsqu’il a déclaré qu’il était prêt à être jugé partout sauf au Japon, j’imagine qu’aucun pays n’a voulu se proposer… à part bien sûr le Japon (et la France dont un juge a ouvert aussi une instruction judiciaire).
Nul doute que Carlos Ghosn, maintenant qu’il a un peu temps, pourrait écrire un excellent livre de témoignage sur la justice japonaise, du genre Vue de l’intérieur, un peu l’équivalent du non moins excellent "Stupeur et Tremblements" d’Amélie Nothomb.
Depuis cette conférence de presse, l’auditeur distrait pourrait presque passer directement de l’affaire DSK à …l’affaire Dreyfus. Il est fort, Carlos ! The show must Ghosn, comme on peut lire sans grande originalité musicale…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (08 janvier 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
The show must (Carlos) Ghosn.
L’investissement productif en France.
Virginie Calmels.
Silvio Berlusconi.
Thierry Breton.
Georges Chavanes.
Volkswagen.
Bernard Tapie.
Grandeur et décadence de Carlos Ghosn.
Serge Dassault.
La SNCF.
L’industrie de l’énergie en France.
La France est-elle un pays libéral ?
La concurrence internationale.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200108-carlos-ghosn.html
https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/the-show-must-carlos-ghosn-220570
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