Bioéthique 2020 (5) : le Sénat vote le principe de la PMA pour toutes
« Ne nous y trompons pas : les projets de loi relatifs à la bioéthique, s’ils peuvent sembler techniques voire abstraits, touchent au plus profond de l’intimité des Français, la famille, l’enfance, la maladie et tout ce qui compose une vie dans ses choix ou dans ses espoirs. Plutôt que de problèmes à résoudre ou de défis à relever, il s’agit de réfléchir à la société dans laquelle nous voulons vivre et que nous souhaitons proposer aux générations futures. (…) Dignité de la personne humaine, autonomie de chacun, et solidarité de tous, bien plus que des verrous, ces principes sont des balises qui nous guident et nous protègent. » (Agnès Buzyn, Ministre de la Santé et des Solidarités, le 21 janvier 2020 au Sénat).
Dans la nuit du 21 au 22 janvier 2020, après une discussion passionnée, les sénateurs ont voté pour le principe de la PMA (procréation médicalement assistée) pour toutes les femmes. Proposée dans l’article 1er du projet de loi, cette mesure avait fait l’objet d’un amendement visant à la supprimer. L’amendement a été rejeté par 162 voix contre 126 et 37 abstentions sur 325 votants. Du 21 janvier au 4 février 2020, le Sénat examine en première lecture le projet de loi de bioéthique dont la mesure la plus emblématique est l’élargissement de la PMA aux couples de femmes et aux femmes non mariées.
Peu avant ce vote d’étape, la Ministre de la Santé et des Solidarités Agnès Buzyn a rappelé une chose importante : « L’ouverture de la PMA heurte peut-être des valeurs morales ou culturelles, une certaine image de la famille et du rôle du père, mais pas des principes de bioéthique. La PMA pour les couples homosexuels ne met pas plus en tension nos principes bioéthiques que la PMA pour les couples hétérosexuels. Le glissement n’est pas possible. ».
À cet égard, sur ce sujet précis (article 1er), les sénateurs en séance publique ont repris à leur compte les recommandations et le texte de la commission spéciale du Sénat sur la bioéthique adopté le 8 janvier 2020.
Je souhaite d’ailleurs apporter un rectificatif à propos de mon précédent article où j’ai laissé entendre que la commission spéciale du Sénat avait supprimé l’élargissement de la PMA à toutes les femmes. C’est une erreur pour laquelle je prie les lecteurs de m’excuser. En effet, la commission sénatoriale a gardé cet élargissement aux femmes (en couple ou non mariées) par un amendement qui rajoutait un alinéa supplémentaire, l’alinéa principal du texte originel (adopté par les députés le 15 octobre 2019) avait été lui modifié sur le seul principe d’une PMA pour les couples hétérosexuels avec critère d’infertilité.
Ce que la commission avait modifié le 8 janvier 2020, ce n’était donc pas le principe d’élargissement aux femmes, mais l’élargissement pour les couples hétérosexuels (il faut qu’il y ait un problème d’infertilité pour eux, ce que le texte initial avait supprimé) et, mesure très politique, la non prise en charge de cette PMA lorsqu’il n’y a pas d’infertilité.
On peut être contre la PMA pour toutes, mais refuser son remboursement par la sécurité sociale (même si ce n’est pas un traitement contre pathologie, après tout, l’IVG est dans le même cas), c’est renoncer au principal argument pour accepter l’élargissement de la PMA, à savoir, le principe d’égalité. Il est évident qu’en refusant le remboursement, la loi créerait une inégalité relative à la situation pécuniaire de chaque personne.
Mais revenons à ce vote d’importance qui, comme je l’avais indiqué précédemment, n’est pas le premier qui confirme qu’un Sénat pourtant à majorité de droite et du centre n’est pas opposé à cet élargissement de la PMA. Les sénateurs LR sont plus progressistes que les députés LR. Ce n’est pas une découverte, le Sénat a toujours été une enceinte de la modernité et du progrès, du réalisme et du concret (je le dis sans second degré, car c’est vrai, je l’ai déjà testé sur de nombreux sujets : économie, entreprise, recherche, éducation). Parce que les sénateurs sont élus avec un mode de scrutin très particulier, ils sont moins tributaires du court terme et peuvent mieux réfléchir sur des horizons plus lointains. En outre, ils sont beaucoup plus libres que les députés vis-à-vis de leur parti. Ils n’ont jamais de consigne de vote provenant d’un appareil partisan extérieur au Sénat ou alors, ils ne les suivent que si elles correspondent à leurs propres visions de la société. Ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si les premières lois de bioéthique proviennent du Sénat (en particulier de l’ancien sénateur de Nancy, le professeur Claude Huriet, ancien chef du service néphrologie au CHU de Nancy).
Pour le groupe LR au Sénat, la situation est donc assez intéressante. 57% des sénateurs LR ont voté contre l’amendement voulant supprimer l’élargissement de la PMA. Son président, Bruno Retailleau, proche de François Fillon, a laissé la liberté de vote à son groupe. Il est plutôt contre, il s’abstiendra peut-être (probablement) lors du vote solennel le 4 février 2020, et finalement, les membres sont très partagés. L’enjeu particulier pour Bruno Retailleau, c’est de rester à la tête des sénateurs LR après le renouvellement de septembre 2020, il ne veut donc pas que la PMA soit un sujet de clivage pour un parti politique qui compte sur les élections municipales pour se refaire la santé.
Dans son intervention au Sénat le 21 janvier 2020, Bruno Retailleau a rappelé certains éléments : « Ce texte échappe aux classifications ordinaires. Sylviane Agacinski, Michel Onfray, Alexis Escudero, José Bové ne viennent pas de la même planète politique que la mienne, mais ils s’opposent tous à la mesure principale de ce projet de loi. Quelque chose de fondamental se joue : c’est un choc, mais ce n’est pas un affrontement entre droite et gauche ou entre ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas. C’est un choc entre deux modèles : la vision française et la vision anglo-saxonne mondialisée. ».
Et de préciser : « Notre vision, inscrite au frontispice de notre édifice juridique, c’est la dignité, c’est-à-dire la fragilité et la paternité. Le modèle ultralibéral anglo-saxon, adepte du contrat, ferme trop souvent les yeux sur la marchandisation des corps. Il n’a pas peur de défendre la loi du plus fort, c’est-à-dire celle des adultes. Derrière ce texte, il y a des convictions respectables, mais aussi des valeurs idéologiques, militantes, terranoviennes. Il y a une logique compassionnelle, parce qu’il y a tant de souffrances, tant de désirs. Il y a aussi une logique implacable, techno-marchande : il ne faut surtout pas rater le train de la modernité ! ».
Bruno Retailleau a poursuivi : « Nous ne devons pas oublier que la liberté des adultes s’arrête là où commence le droit de l’enfant. (…) Ce texte engage l’avenir des nouvelles générations, notre conception de l’homme. L’humanité est parvenue à un moment historique, comme l’ont dit Hannah Arendt et Hans Jonas, où l’homme peut échanger son existence humaine contre un ouvrage de ses propres mains. ».
Plus généralement, les responsables LR ne souhaitent absolument pas focaliser le débat politique sur la PMA, comme cela avait été le cas à l’époque du mariage pour tous en 2013. Leurs électeurs, plus préoccupés par l’emploi, l’économie, le pouvoir d’achat, la sécurité, le terrorisme, ne comprendraient pas une diversion dans le débat public avec ce sujet-là. Du reste, les avertissements catastrophistes à l’époque de l’adoption du PACS puis à l’époque du mariage pour tous n’ont jamais été vérifiés. En Espagne où la PMA élargie est légale depuis plusieurs décennies, la GPA a toujours été refusée par le législateur, ce qui ôte aussi un des arguments majeurs des élus LR contre la PMA, qui serait la première étape pour introduire, à terme, la GPA dans la loi.
L’ancien ministre Roger Karoutchi, ancien proche de Philippe Séguin, est un exemple intéressant de sénateur LR. Il était d’ailleurs le prédécesseur de Bruno Retailleau à la présidence du groupe LR. En votant favorablement à l’élargissement de la PMA, il fait partie des "modernistes" de la droite qui ne veulent pas se voir coller une étiquette de conservatisme et de ringardisme. Le 21 janvier 2020, Roger Karoutchi a parlé avec franchise : « Si quelqu’un dans cet hémicycle détient la vérité, qu’il nous transmette les coordonnées de celui qui la lui a donnée ! Après avoir participé à la plupart des auditions de la commission spéciale, comme Jean Gabin, au fond, je ne sais qu’une chose : que je ne sais rien. Je voterai l’article premier, tout en refusant absolument la GPA. Je suis issu d’une famille religieuse, très pratiquante, et mes honorables parents, s’ils étaient encore en vie, s’opposeraient sans doute à une évolution qu’ils considéreraient comme diabolique. Mais votons-nous des lois selon nos convictions personnelles ou ce que nous sommes ? Non ! En tout cas, pas moi. Je vote en fonction de mon intime conviction de ce qui est le mieux pour la société et ses évolutions. Je n’étais pas là en 1975, mais j’ai assisté, plus récemment, à d’autres débats très durs, où l’on annonçait des choses abominables qui ne sont pas arrivées. N’intervenons pas dans la vie privée si l’ordre social n’est pas menacé. ».
Au contraire, un autre sénateur LR, René Daseni, s’est fermement opposé à la PMA pour toutes : « Pour moi, ce texte porte en lui pour demain la marchandisation du corps des femmes dans les pays pauvres et pour après-demain, l’eugénisme, la sélection d’enfants parfaits. ». Un autre sénateur, lui LREM, tout aussi opposé, médecin généraliste, Michel Amiel : « Il eût été plus honnête, juridiquement, d’inclure la GPA dans ce texte ; on aurait, ce faisant, créé un droit-créance, un grand marché de la procréation, avec des congélations de gamètes sous pression de l’employeur. ».
Président du groupe LREM au Sénat et proche du Président Emmanuel Macron, François Patriat a soutenu la PMA pour toutes : « Les mamans d’Anna, 4 ans, se sont mariées en 2015. Elles ont construit leur projet surmontant leurs craintes, les préjugés de ceux qui ont un modèle de famille parfaite. Fanny et Aurélie ont longtemps hésité : aller en Espagne ? Adopter ? Acheter des gamètes sur Internet ? Ce n’est pas le droit à l’enfant mais le désir d’enfant que le législateur comble. Aucune étude ne prouve qu’avoir deux mamans compromettrait le développement de l’enfant. La pluralité des situations familiales doit être acceptée. "Quand l’enfant vient, la joie arrive et nous éclaire", disait Victor Hugo. Interdire la PMA au nom de la nature, c’est l’interdire aussi aux couples hétérosexuels infertiles. Nous sommes en 2025. Anna est née à Toulouse. Elle a 4 ans. C’est le monde où je veux vivre dans cinq ans. ».
En attendant la suite de la discussion au Sénat, je propose de préciser quelques points contenus dans le volumineux rapport n°237 de la commission spéciale du Sénat sur le projet de loi de bioéthique adopté le 8 janvier 2020 (on peut le lire ici). Volumineux, en effet, car il contient …863 pages !
Ce rapport rappelle l’objectif d’un tel projet de loi : « Chaque loi de bioéthique s’inscrit dans un équilibre délicat, produit de la volonté d’accueillir des avancés médicales, technologiques ou scientifiques dans le respect des principes fondamentaux formant "l’éthique à la française". ». Le texte adopté par les députés le 15 octobre 2019 a ainsi était modifié par 137 amendements dont 124 provenaient d’un des quatre rapporteurs.
Le rapport présente quelques statistiques intéressantes. Ainsi, l’Agence de la biomédecine a recensé pour l’année 2017 un total de 151 611 tentatives de PMA (soit 3,8% de plus qu’en 2014), dont 49 367 inséminations artificielles et 102 244 fécondations in vitro. 96% de ces tentatives ont été réalisées en "interconjugal" (c’est-à-dire avec les gamètes des deux membres du couple). Pour les 4% restants, il y a eu recours à un tiers donneur (don de sperme pour 70% des cas, ou don d’ovocyte) et très rarement, accueil d’embryon (147 cas en 2017). En tout, 25 614 naissances ont été recensées pour l’année 2017 (soit 1 naissance pour 6 tentatives de PMA), soit 3,3% des enfants nés de la population générale (en 2009, cela représentait 2,6%).
La notion de "femme non mariée" pour les cas prévus d’élargissement de la PMA a été préférée, sur recommandation du Conseil d’État, à celles de "femme célibataire" ou "femme seule", ces deux dernières notions n’ayant aucune valeur juridique. En effet, par son statut, la femme mariée peut imposer à son mari de devenir père de l’enfant dont elle accoucherait, par le jeu de la présomption de paternité. Cela permettrait à une femme vivant en concubinage hétérosexuel de demander seule une PMA, son compagnon n’ayant pas obligation de reconnaître sa paternité.
Le gouvernement a aussi supprimé tout critère médical pour éviter de créer une inégalité entre couples de deux femmes et couples hétérosexuels. Cependant, la commission sénatoriale a rétabli le critère médical pour la prise en charge des couples hétérosexuels. Concrètement, le critère pathologique d’infertilité n’est pas identifié dans 10 à 15% des cas, car le diagnostic d’hypofertilité est constaté par l’absence de grossesse. Agnès Buzyn a explicité ainsi : « Aujourd’hui, l’accès à la PMA se fait sur des critères purement déclaratifs. Aucun médecin ne vérifiera si vous avez couché ou non avec votre conjoint dans l’année précédente. La stérilité n’a pas besoin d’être prouvée médicalement. Elle n’est d’ailleurs pas présente dans la majorité des cas. ».
Par ailleurs, l’interdiction du double don de gamètes (ovocytes et spermatozoïdes) soulève des incompréhensions alors que l’accueil d’embryons provenant de couples qui n’ont plus de projet parental est possible. Cette dernière activité est très marginale, 138 couples ont accueilli un embryon en 2017, et 18 enfants en sont nés vivants. Parallèlement, 582 couples ont abandonné leur projet parental, et ont proposé les embryons conservés à l’accueil par un autre couple (1 654, soit 13% des embryons ayant fait l’objet d’un "consentement à l’abandon du projet parental").
Le rapport explique ensuite pourquoi élargir la PMA : « Autoriser l’accès à un geste médical relativement simple, l’insémination artificielle ou la fécondation in vitro, a été perçu comme un prolongement naturel dans la reconnaissance par la société de la diversité des moyens de "faire famille" et de l’égale valeur des différents modèles familiaux. Au-delà, le fait de ne pas avoir accès en France à des techniques autorisées dans un grand nombre de pays voisins a suscité un sentiment d’injustice voire de discrimination. ».
Dans la discussion au sein de la commission spéciale, le rapporteur avait présenté un amendement de suppression de l’article visant à élargir la PMA. Mais après un "large débat", la commission a finalement approuvé l’ouverture aux couples de femmes et aux femmes non mariées, tout en modifiant les conditions en maintenant le critère médical actuel d’accès à la PMA pour les couples hétérosexuels et la prise en charge des seules demandes fondées sur ces indications médicales.
Comme on le voit, sur l’élargissement de la PMA pour toutes, le débat est resté très ouvert au Sénat, tant en commission qu’en séance publique. Les rapporteurs étaient partisans de supprimer du texte à examiner cette mesure emblématique, mais la majorité de la commission spéciale l’a refusé. Tout comme une majorité de sénateurs a rejeté, en séance publique, l’amendement visant à supprimer cet article 1er du projet de loi. Les sénateurs ont donc adopté le principe de l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes non mariées, et cela malgré la majorité LR-UC de la haute assemblée. Mais le plus important est ailleurs…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (22 janvier 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Document : le rapport approuvé le 8 janvier 2020 de la commission spéciale du Sénat sur la bioéthique (à télécharger).
Le Sénat vote le principe de la PMA pour toutes.
La PMA et ses sept enjeux éthiques.
Les 20 ans du PACS.
Harcèlement sexuel.
Pédophilie dans l’Église catholique.
Le projet de loi sur la bioéthique adopté par les députés le 15 octobre 2019.
Texte du projet de loi sur la bioéthique adopté le 15 octobre 2019 par l’Assemblée Nationale (à télécharger).
Quel député a voté quoi pour la loi sur la bioéthique ? Analyse du scrutin du 15 octobre 2019.
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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200122-bioethique.html
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