Pourquoi Emmanuel Macron va-t-il être conforté par les élections régionales de juin 2021 ?
« Un cœur viril et courageux trouve jusque dans les revers de la Fortune de quoi ancrer son espérance. » (Guillaume d’Orange).
Le Président Emmanuel Macron joue au jeu qui perd gagne. Enfin, il ne joue pas, mais il peut bénéficier du jeu. Ce jeu oxymore est quasi-biblique : ce sont les derniers qui seront les premiers, ou encore, dans les Béatitudes, heureux les simples d’esprit, etc.
L’une des analyses électorales communément admises, c’est que le parti présidentiel LREM et le RN ont mordu la poussière, l’un parce qu’il ne représente qu’un électeur sur dix (de ceux qui ont exprimé leur suffrage), ce qui fait une base courte pour un gouvernement, et l’autre parce que l’idée d’une conquête du pouvoir passant d’abord par les régions semble assez mal en point (mais attendons le second tour qui peut encore promettre quelques surprises). La stratégie de normalisation de Marine Le Pen ne paraît pas très efficace, car en devenant un "parti comme les autres", le RN perd son atout populiste, celui de rassembler les mécontents. Le RN est devenu, par excellence, un parti du système. Et cela depuis au moins trente-sept ans.
Quant à Emmanuel Macron, il savait depuis le début que, comme les élections municipales, les élections régionales et départementales ne lui seraient pas favorables. Il a d’ailleurs tout fait pour cela puisque LREM n’a pas la structure d’un parti organisé et bien implanté localement et seules, quelques personnalités s’y retrouvent par leur action locale de longue haleine. Il n’avait d’ailleurs aucun intérêt de repousser les élections régionales trop loin, sauf pour cause sanitaire, car l’été va passer, puis l’hiver, et au printemps 2022, ces élections seront largement oubliées par les électeurs, non qu’ils aient la mémoire d’un poisson rouge (avec Internet, c’est plus difficile), mais parce qu’il y aura bien d’autres sujets politiques qui vont faire surface d’ici à huit mois.
Néanmoins, certains députés LREM ont peur du verdict des prochaines élections législatives l’année prochaine : même en cas de réélection d’Emmanuel Macron, il lui sera peut-être difficile de retrouver une majorité absolue à l’Assemblée Nationale si on reprend les résultats locaux du 20 juin 2021. Mais c’est oublier que ce n’est pas le même scrutin et qu’il y a peu de chance pour que les électeurs qui ont élu un Président ne se mobilisent pas pour lui donner une majorité absolue. C’est ne rien comprendre aux institutions actuelles, et par la même occasion, pour la plupart d’entre eux (députés LREM), c’est ne rien comprendre des raisons qui les ont fait élire en juin 2017.
Parmi le flot des commentaires issus de ce premier tour des élections régionales du 20 juin 2021, il y a eu une analyse qui m’a paru fort pertinente. Elle a été proposée par l’éditorialiste Claude Weill le 22 juin 2021 sur LCI.
Il admet que LREM a perdu les élections régionales, mais que cela fait le jeu politique d’Emmanuel Macron. Soyons bien clairs à ce propos : Emmanuel Macron n’a jamais fait éclater le paysage politique en 2017, le paysage politique a éclaté tout seul et c’est Emmanuel Macron qui a récupéré quelques morceaux, il est juste le bénéficiaire, pas l’auteur (c’est toujours le biais d’une enquête policière : à qui profite le crime ?).
En effet, avec les résultats du premier tour des régionales, la situation peut évoluer à l’avantage d’Emmanuel Macron.
Du côté du RN, manifestement, Marine Le Pen n’a pas réussi à convaincre qu’il était un parti de gouvernement ni de gestion d’exécutifs. Dès le lendemain du premier tour, l’éditorialiste Éric Zemmour a envoyé ses flèches contre la présidente du RN et trouve dans le médiocre score du RN une raison supplémentaire de franchir le Rubicon, se présenter lui-même à l’élection présidentielle. Déjà un sondage (à froid) annonçait 13% d’intentions de vote au premier tour (mais méfions-nous des sondages). Sa candidature ferait éclater le camp nationaliste et ferait nécessairement le jeu d’Emmanuel Macron.
Du côté du LR, on pourrait croire que ces élections vont avantager cet ancien grand parti de gouvernement avec des scores très flatteurs de certains de ses leaders dont trois ont approché voire dépassé les 40% : Xavier Bertrand, Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez. Oui mais non. En cas de réélection de ces trois personnalités dimanche prochain, LR va passer du stade de trop vide au stade de trop plein ! En effet, il aurait été plus utile, dans une stratégie présidentielle, qu’un gagne et les deux autres se plantent, le gagnant étant alors indiscutablement le "leader" pour 2022. Avec trois grandes réélections, cela va réintroduire de fortes tensions et divisions au sein de LREM, chacun des trois cités étant qualifié pour représenter le centre droit à la prochaine élection présidentielle.
Claude Weill n’a pas poussé le raisonnement plus loin mais on peut aussi en rajouter avec la gauche. La résurrection du clivage LR/gauche, avec une vieille gauche idéologique, pas la gauche sociale-démocrate, mais celle qui a fait peur pendant vingt-trois ans entre 1958 et 1981, a tout pour plaire à Emmanuel Macron. Le mélange hétérogène entre écologistes, socialistes et extrémistes avec des positions divergentes sur de nombreux sujets de société très clivants ne va pas aider la gauche à s’unir à l’élection présidentielle. Au contraire, la démonstration sera probablement faite qu’il y a bien deux gauches irréconciliables et désunies.
Emmanuel Macron semble d’ailleurs bénéficier du fort courant de sympathie pour le mouvement écologiste qui est aussi un mouvement anticapitaliste et qui englue la gauche traditionnelle. Cela peut devenir un chiffon rouge pour électeurs (et les maires écologistes des grandes villes participent involontairement à ce phénomène).
Il reste enfin le mauvais score de son parti LREM. Emmanuel Macron ne comptait pas sur lui et sait que c’est son nom, son action, son expérience présidentielle qui feront ses atouts dans la nouvelle bataille présidentielle. Les anciens Présidents de la République encore en vie (ils ne sont plus que deux) peuvent s’étrangler en voyant la cote de popularité de l’actuel Président dix mois avant le second tour de l’élection présidentielle : à 40%, il surpasse largement ses prédécesseurs Nicolas Sarkozy et surtout François Hollande.
Bref, oui, il y aura des surprises d’ici à l’élection présidentielle, parce qu’il y en a toujours eu, mais elles ne seront peut-être pas au détriment d’Emmanuel Macron qui a bien compris que l’essentiel, aujourd’hui, c’est de réussir le déconfinement, la vaccination et la reprise économique et tout faire pour que le variant delta ne nous empoisonne pas la vie l’automne prochain. C’est sur cela qu’il sera jugé en 2022. Et sur rien d’autre.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 juin 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Régionales 2021 (6) : Emmanuel Macron et le qui perd gagne.
Régionales 2021 (5) : vous avez dit front républicain ?
Suppression des professions de foi lors des élections (28 septembre 2016).
Régionales 2021 (4) : l’abstention, c’est grave, docteur ?
Régionales 2021 (3) : le premier tour, déconfiture ?
Régionales et départementales 2021 (2) : les enjeux.
Marine Le Pen et l’effet majoritaire.
Les Républicains et la tentation populiste.
Rapport de Jean-Louis Debré du 13 novembre 2020 (à télécharger).
Avis du Conseil scientifique sur la tenue des élections du 29 mars 2021 (à télécharger).
Régionales et départementales 2021 (1) : à propos de leurs dates et de l’âge du capitaine.
Municipales 2020 (5) : la prime aux… écolos ?
Municipales 2020 (4) : bientôt, la fin d’un suspense.
Municipales 2020 (3) : et le second tour arriva…
Municipales 2020 (2) : le coronavirus s’invite dans la campagne.
Municipales 2020 (1) : retour vers l’ancien monde ?
Régionales 2015 : sursaut ou sursis ?
Les enjeux du second tour des régionales de 2015.
Le premier tour des régionales du 6 décembre 2015.
Les enjeux des élections régionales de décembre 2015.
Les départementales 2015 au second tour.
Les départementales 2015 avant le second tour.
Départementales 2015 : le pire n'est jamais sûr.
Les 4 enjeux nationaux des élections départementales de mars 2015.
La réforme territoriale.
La réforme des scrutins locaux du 17 mai 2013.
Le référendum alsacien.
Le vote par anticipation.
Le vote proportionnel.
Le vote obligatoire.
Le vote électronique.
Vive la Cinquième République !
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