Le Conseil d’État rejette définitivement le burkini à Grenoble
« Le gestionnaire d’un service public est tenu, lorsqu’il définit ou redéfinit les règles d’organisation et de fonctionnement de ce service, de veiller au respect de la neutralité du service et notamment de l’égalité de traitement des usagers. » (Ordonnance du 21 juin 2022 du Conseil d’État).
La décision du Conseil d’État du 21 juin 2022 revêt une importance très élevée dans l’édifice juridique français. Involontairement, le maire écologiste de Grenoble Éric Piolle a fait de cette affaire du burkini un petit laboratoire du déféré-laïcité prévu par la très récente loi n°2021-1109 du 24 août 2021 dite loi Séparatisme (c’est donc une nouvelle procédure d’urgence applicable depuis moins d’un an).
Rappelons rapidement les faits. Lors de la séance du conseil municipal de Grenoble du 16 mai 2022, Éric Piolle a fait adopter une modification du règlement intérieur des piscines municipales de Grenoble. En particulier, l’article 10 autorisait à partir du 1er juin 2022 le port du burkini dans l’enceinte des piscines, alors que ce vêtement de bain était jusque-là interdit en raison de problème d’hygiène et de sécurité (en particulier, quand le vêtement ne colle pas à la peau, un morceau de tissu peut être pris dans un des mécanismes mécaniques). Pour faire bonne mesure et éviter (en vain) de focaliser la délibération municipale sur le seul port du burkini, la modification permettait aussi aux femmes (au nom de l’égalité des sexes) d’être seins nus dans les piscines.
Dès l’ordre du jour de ce conseil municipal connu, au début du mois de mai 2022, la polémique a évidemment démarré. C’était prévisible puisque ce sujet est très sensible en France et en été 2016, la polémique avait déjà enflé. Rien dans le Coran n’oblige les femmes musulmanes à porter un burkini pour se baigner. D’autant plus que la conception de ce vêtement de bain est très récente …et très juteuse.
Les arguments donnés par le maire écologiste (qui a divisé sa majorité municipale à cette occasion, le tiers de sa majorité ayant rejeté la délibération) étaient particulièrement confus, refusant de se mettre sur le terrain religieux, de la laïcité, du respect de la femme, ou encore de l’hygiène, tout en considérant ceux qui s’opposaient comme des personnes rejetant les femmes musulmanes. La réalité est que cette délibération a été adoptée sous la pression d’une association communautariste puissante juste avant les élections législatives.
Après son adoption, sur consigne du Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, le préfet de l’Isère a déposé le 23 mai 2022 un déféré-laïcité auprès du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble qui, par son ordonnance n°2203163 du 25 mai 2022, l’a accepté, si bien que la mesure n’était plus applicable et suspendue. Le maire de Grenoble a réagi de manière prévisible en portant le sujet par sa requête du 2 juin 2022 devant le Conseil d’État qui est l’instance administrative suprême, sans recours national (probablement qu’il pourrait y avoir un recours supplémentaire auprès de la Cour européenne des droits de l’homme).
Quand on a observé la timidité de la réponse du Conseil d’État il y a plus de trente ans lors de l’affaire du voile à l’école (il avait renoncé à prendre position et avait invité les parlementaires à légiférer sur le sujet, ce qui a pollué la tranquillité publique pendant une quinzaine d’années), on pouvait craindre une réponse du même genre, mi-chèvre mi-chou. Eh bien, non, la décision du Conseil d’État prise par l’ordonnance n°464648 du 21 juin 2022 est parfaitement claire et fera certainement jurisprudence.
En effet, le Conseil d’État a rejeté le requête du maire de Grenoble et donc confirmé la décision du tribunal administratif de Grenoble du 25 mai 2022 qui avait suspendu la délibération du conseil municipal litigieuse. Il a repris le même raisonnement que les juges administratifs de première instance.
Ce qui est important de comprendre, c’est que ce n’est pas la mesure elle-même qui est mise en cause mais l’intention que sous-tend cette mesure, largement confirmée au fil des débats publics : cette délibération répondait à la demande d’une catégorie d’usagers et mettait en cause le principe de neutralité des services publics.
Ce principe de neutralité a été ainsi rappelé : « Lorsqu’il prend en compte pour l’organisation du service public les convictions religieuses de certains usagers, le gestionnaire de ce service ne peut procéder à des adaptations qui porteraient atteinte à l’ordre public ou qui nuiraient au bon fonctionnement du service, notamment en ce que, par leur caractère fortement dérogatoire, par rapport aux règles de droit commun et sans réelle justification, elles rendraient plus difficile le respect de ces règles par les usagers ne bénéficiant pas de la dérogation ou se traduiraient par une rupture caractérisée de l’égalité de traitement des usagers, et donc méconnaîtraient l’obligation de neutralité du service public. ».
Les juges du Palais Royal ont expliqué effectivement : « L’adaptation exprimée par l’article 10 du nouveau règlement intérieur doit être regardée comme ayant pour seul objet d’autoriser les costumes de bain communément dénommés burkinis (…). Cette dérogation à la règle commune, édictée pour des raisons d’hygiène et de sécurité, de port de tenues de bain près du corps, est destinée à satisfaire une revendication de nature religieuse. Ainsi, il apparaît que cette dérogation très ciblée répond en réalité au seul souhait de la commune de satisfaire à une demande d’une catégorie d’usages et non pas, comme elle l’affirme, de tous les usagers. ».
Et l’ordonnance poursuit : « Si (…) une telle adaptation du service public pour tenir compte de convictions religieuses n’est pas en soi contraire aux principes de laïcité et de neutralité du service public, d’une part, elle ne répond pas au motif de dérogation avancé par la commune, d’autre part, elle est, par son caractère très ciblé et fortement dérogatoire à la règle commune, réaffirmée par le règlement intérieur pour les autres tenues de bain, sans réelle justification de la différence de traitement qu’il en résulte. Il s’ensuit qu’elle est de nature à affecter tant le respect par les autres usagers de règles de droit commun trop différentes, et ainsi le bon fonctionnement du service public, que l’égalité de traitement des usagers. ».
L’expression "revendication de nature religieuse" est très forte et très claire à la fois. Cette affaire prouve la nécessité et l’intérêt de la loi Séparatisme promulguée le 24 août 2021. Cette finalité religieuse de la modification du règlement intérieur a été amplement confirmée par la municipalité elle-même dans les débats. C’est cette finalité, ce sous-entendu qui, ainsi, a mis à mal la légalité de la délibération qui, sans cela, aurait pu passer avec les mêmes mots. La diversion de la baignade les seins nus n’a pas suffi à ne pas se focaliser sur le burkini qui était l’intention originelle.
Peut-être le maire de Grenoble portera cette affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme (qui a autre chose à faire mais les recours sont les recours), pour poursuivre la polémique avec d’autres arguments, certainement celui de la liberté de porter ce qu’on veut. Pour l’heure, la loi Séparatisme semble avoir été bien rédigée pour résoudre ces conflits locaux sans remettre en cause la liberté religieuse ni l’égalité des femmes et des hommes.
Si la piste européenne ne suffit pas, le maire de Grenoble pourra toujours revenir à la charge avec un bataillon d’avocats : relire précisément les raisons sur lesquelles s’est fondé le Conseil d’État et les rendre inopérantes dans un prochain texte.
J’ai toujours trouvé stupide de se battre pour des bouts de vêtements. Ma tendance naturelle serait de laisser chacun se vêtir comme il l’entend, mais l’affaire du burkini touche à plein de sujets : le respect de la femme, l’ordre public (dès lors qu’un lieu de loisirs qui aspire au calme et à la bienveillance devient un cœur d’un combat politique ou religieux, la qualité du service public est remise en cause), et enfin, le plus important, la volonté toujours plus dévorante d’imposer à la France des normes islamistes qui n’ont pas lieu d’être. Ces tentatives d’intrusion culturelle et cultuelle doivent ainsi être combattues pour que la France reste la France. Il ne s’agit pas de fustiger une religion mais de refuser clairement le prosélytisme des plus radicalisés de cette religion qu’est l’islam.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (23 juin 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
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La Commission Stasi : la République, le voile islamique et le "vivre ensemble".
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Éric Piolle.
Burkini à Grenoble : Laurent Wauquiez et Alain Carignon vs Éric Piolle.
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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220621-burkini.html
https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/le-conseil-d-etat-rejette-242345
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