Roger Penrose, le mathématicien des trous noirs
« On ne sait jamais vraiment quand on perd son temps ! » (Roger Penrose, 1973).
C’est le principe de la recherche, on ne sait pas ce qui va advenir d’une pensée. Parfois, des observations dérisoires peuvent effectivement être à l’origine de grandes découvertes. C’est l’essentiel du scientifique : être une bon observateur et avoir de l’imagination. Or, ces deux qualités ne fonctionnent pas 35 heures par semaine, mais bien 24 heures sur 24, on n’arrête jamais un penseur de penser !
L’astrophysicien et mathématicien britannique Roger Penrose fête son 91e anniversaire ce lundi 8 août 2022. Ce spécialiste de physique théorique est très connu pour avoir beaucoup travaillé avec le physicien Stephen Hawking sur les trous noirs notamment.
Alors qu’on considérait que Stephen Hawking ne pourrait jamais avoir de Nobel car ce prix récompense des découvertes qui ont une incidence sur la vie quotidienne des gens, et a fortiori, on pouvait aussi le penser pour Roger Penrose, ce dernier a quand même eu la consécration, certes tardive, de ses travaux par l’obtention du Prix Nobel de Physique le 6 octobre 2020. À cause du covid-19, il n’y a pas eu de réception officielle en 2020, mais il a fait une lecture pour le Nobel le 8 décembre 2020 et a reçu la médaille des mains de l’ambassadeur de Suède au Royaume-Uni dans la résidence de celui-ci à Londres.
Roger Penrose a ainsi été récompensé par l’Académie royale des sciences de Suède « for the discovery that black hole formation is a robust prediction of the general theory of relativity » [pour la découverte que la formation des trous noirs était une prédiction solide de la théorie de la relativité générale].
Effectivement, le principal travail de Roger Penrose a été de faire en 1965 de la modélisation mathématique pour prouver que la théorie de la relativité générale, énoncée par Albert Einstein, avait pour conséquence l’existence de trous noirs. Un trou noir, c’est un objet cosmique qui a une telle densité en masse que la gravitation y est très forte, si forte que même les rayons de lumière ne peuvent s’y échapper (d’où le nom, en anglais "black hole", mais je trouve que l’expression prête à confusion car ce n’est pas un trou, ce serait plutôt un trop-plein).
En fait, Roger Penrose a partagé son Prix Nobel à moitié (50%, pas un tiers) avec deux autres physiciens, l’Allemand Reinhard Genzel et l’Américaine Andrea Ghez, ces deux derniers pour la découverte d’un trou noir massif au centre de la Voie lactée (Sagittarius A*), à 27 000 années-lumière de chez nous. La présence de ce trou noir massif, qui correspondrait à 4 millions de notre Soleil, explique la vitesse très élevée des étoiles à cet endroit de notre galaxie et son aspect général d’une spirale tourbillonnante.
Au contraire des trous noirs "classiques" que la théorie avait prédit avant leur observation, notamment grâce aux travaux de Roger Penrose à partir de ceux d’Einstein, les trous noirs supermassifs n’étaient pas envisagés avant leurs observations par les astronomes. C’est pourquoi le Prix Nobel de 2020 a récompensé les deux composantes habituelles, complémentaires, très différentes de la science, la théorie qu’on valide ensuite par l’observation, et l’observation qu’on explique ensuite par la théorie.
Le trou noir était une idée conçue dès 1783 par John Michell, un physicien de Cambridge (où ont travaillé plus tard Stephen Hawking et Roger Penrose pour sa thèse sur le calcul tensoriel en géométrie algébrique en 1958), qui se demandait si un objet pouvait être suffisamment massif pour que sa gravitation empêche la lumière de quitter l’astre. Puisqu’on savait déjà à l’époque qu’il fallait une vitesse particulière pour pouvoir quitter un astre et sa gravité, l’astronome se demandait ce qui se passerait-il si la vitesse de libération était supérieure à la vitesse de la lumière.
Einstein a émis l’idée en 1915, dans sa théorie de la relativité générale, que de tels astres pourraient être des étoiles qui s’effondreraient sur elles-mêmes jusqu’à n’être qu’un point au volume nul et à la densité infinie, et donc, à la gravité infinie, ce qu’on appellerait une "singularité gravitationnelle". Mais il n’y croyait pas vraiment et l’existence de trous noirs a été sujet à caution dans la "communauté scientifique" jusqu’aux travaux de Stephen Hawking et Roger Penrose. Hawking a notamment démontré qu’il existait, malgré la forte gravité, un rayonnement qui s’échappait du trou noir, appelé Hawking radiation. En outre, il était quand même possible d’absorber de l’énergie du trou noir grâce à son moment cinétique.
Pour les observer, les trous noirs étant par définition invisibles, c’est leur entourage qu’il faut apprécier, les déviations de la lumière qui est gobée par le trou noir. Einstein a ainsi montré par image qu’un trou noir pouvait être une sorte de puits dans une nappe homogène, comme une boule de pétanque qui enfoncerait la surface d’un drap vers le bas à cause de la gravité, et cette déformation du drap (assimilé à l’espace-temps) montre que le trou attire naturellement tout ce qui passe au voisinage. Par ailleurs, lorsqu’on s’approcherait d’un trou noir, si jamais il était possible de le faire, évidemment, on constaterait que le temps deviendrait de plus en plus lent jusqu’à s’arrêter à l’horizon des événements, tandis qu’au-delà du voisinage, le temps est toujours aussi rapide.
En 1969, Roger Penrose a aussi proposé la conjecture dite de la "censure cosmique" (jolie expression) selon laquelle il n’existerait pas de "singularité nue", c’est-à-dire d’espace qui soit à la fois visible et dont la lumière ne peut pas échapper …à l’exception du Big Bang. Pour Roger Penrose, les trous noirs sont à la base du second principe de la thermodynamique, comme il le précisait le 6 octobre 2020 à un responsable du Comité Nobel : « Ils sont en fait, voyez-vous, l’entropie dans l’univers, ou le caractère aléatoire si vous préférez, qui augmente avec le temps, et vous pourriez vous demander où se trouve la plus grande partie de l’entropie dans l’univers maintenant. Eh bien, de loin, avec un facteur absolument énorme, c’est dans les trous noirs. Et puis, où ça va ? Eh bien, Hawking nous dit que dans un avenir lointain, ces trous noirs s’évaporeront. ». Quand exactement ? Selon Hawking, dans 10 puissance 103 années (1 suivi de 103 zéros). On a encore le temps !
Interviewé sur CNews le 9 octobre 2020, Roger Penrose complétait : « Le Big Bang n’est pas le commencement. Il y avait quelque chose avant le Big Bang et ce quelque chose est précisément ce qui nous attend dans le futur. (…) Nous avons un univers qui se développe et se développe, et selon cette folle théorie qui est la mienne, dans un avenir lointain, toute cette masse finira par se désintégrer en un nouveau Big Bang donnant naissance à de nouveaux temps infinis. ».
Ce sont bien sûr des notions vertigineuses, qu’il est difficile de bien appréhender dans notre condition minuscule de petits Terriens sur une petite planète tournant autour d’une petite étoile qui anime un petit système solaire en banlieue périphérique d’une petite galaxie… Néanmoins, le génie humain est là, non seulement capable de réfléchir et d’arriver à des résultats théoriques intéressants mais aussi capable de fabriquer des instruments très sophistiqués, dont le dernier en date, mis en route très récemment, le télescope spatial James-Webb, promet de très belles découvertes à venir (premières images prises le 7 juin 2022 et diffusée par la NASA le 11 juillet 2022). Cet outil d’observation, de plus en plus puissant et de plus en plu précis, va nous permettre de voir en direct le Big Bang.
Roger Penrose a eu de très nombreuses récompenses avant le Nobel, en particulier le Prix Wolf en physique en 1988 avec Stephen Hawking, le Prix Dirac en 1989 et la Médaille Albert-Einstein en 1990.
Au-delà de ses travaux sur les trous noirs, Roger Penrose a beaucoup joué avec la géométrie. En particulier, inspiré par les travaux de l’artiste suédois Oscar Reutersvärd, il a conçu en 1958 le triangle de Penrose, une tripoutre impossible à réaliser en trois dimensions à cause d’un paradoxe de perspective. Inspiré par Robert Berger, il a aussi conçu en 1974 les pavages de Penrose, qui sont un motif recouvrant tout un plan mais sans être périodique. Ces pavages non symétriques sont conçus par des règles telles qu’on les a utilisé comme modèles géométriques pour les quasi-cristaux (qui sont de pseudo-symétrie 5). Ces deux éléments géométriques, tripoutre et pavages, ont été beaucoup utilisés par le dessinateur MC Escher dans la composition de ses œuvres "impossibles".
Quand on manie autant de concepts théoriques, encore que lorsqu’il imagine les trous noirs, en quatre dimensions, Roger Penrose voit la géométrie avant d’y voir les équations, on ne peut pas rester insensible à la philosophie, on ne peut pas résister à la tentation de spéculer sur l’humain, le monde, l’univers alors qu’on tente une théorie du tout. C’est en cela que le cosmologue théoricien est également un grand philosophe et, pourquoi pas, également un grand poète.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (06 août 2022)
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Pour aller plus loin :
Albert Einstein.
Roger Penrose.
La mort de l’horloge parlante.
Yves Coppens.
Cédric Villani.
Pierre-Gilles de Gennes.
Pierre Teilhard de Chardin.
Luc Montagnier.
La Science, la Recherche et le Doute.
François Jacob.
Jacques Testart.
Robert Edwards.
Katalin Kariko.
Klim Tchourioumov.
L’exploit de Blue Origin, la fabrique du tourisme spatial écolo-compatible.
John Glenn.
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Atterrissage de la navette Atlantis le 21 juillet 2011.
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60 ans après Vostok 1.
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Rosetta, mission remplie !
Le dernier vol des navettes spatiales.
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Les petits humanoïdes de Roswell…
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L’émotion primordiale du premier pas sur la Lune.
Stephen Hawking, Dieu et les quarks.
Les 60 ans de la NASA.
La relativité générale.
La PMA pour toutes les femmes désormais autorisée en France.
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Benoît Mandelbrot.
Roland Omnès.
Marie Curie.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220808-roger-penrose.html
https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/roger-penrose-le-mathematicien-des-243077
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/07/30/39576699.html