Shinzo Abe : sous le choc, les Japonais pleurent leur homme d’État
« Le premier tir a fait le bruit d’un jouet. [Il] n’est pas tombé et il y a eu une grosse détonation. Le deuxième tir était plus visible, on pouvait voir une étincelle et de la fumée. (…) Des gens l’ont entouré et lui ont fait un massage cardiaque. » (Une jeune femme qui a témoigné sur NHK le 8 juillet 2022).
L’ancien Premier Ministre japonais Shinzo Abe a été assassiné le vendredi 8 juillet 2022 dans la ville de Nara, alors qu’il participait vers midi dans la rue à un meeting électoral. Des élections sénatoriales ont lieu ce dimanche 10 juillet 2022 au Japon : 124 sièges sur 248 sont renouvelables à la Chambre des conseillers (chambre haute, équivalent du Sénat), et Shinzo Abe était en train de prononcer un discours pour soutenir Kei Sato, un jeune sénateur sortant de son parti, le parti libéral-démocrate (PLD), qui venait d’annoncer sur sa page Facebook : « Shinzo Abe arrive ! ». 56 sénateurs PLD sur les 113 au total avaient leur mandat à renouveler à cette occasion.
Atteint par deux balles tirées par derrière par l’assassin qui semblait être isolé et avoir fabriqué une arme artisanale, Shinzo Abe a succombé à ses blessures à l’hôpital. Ce genre d’attentat est extrêmement rare car la sécurité est généralement très forte et les armes à feu interdites (le contraire des États-Unis). Cet assassinat a non seulement ému la classe politique japonaise mais aussi l’ensemble de la "communauté internationale", un peu à l’image de l’assassinat d’Olof Palme, Premier Ministre suédois alors en exercice, le 28 février 1986.
Car Shinzo Abe était l’un des plus grands hommes d’État du Japon depuis la guerre, avec même un record de longévité au pouvoir. Fils de Shintaro Abe, qui fut Ministre des Affaires étrangères du 27 novembre 1982 au 22 juillet 1986 dans les gouvernements de Yasuhiro Nakasone, Shinzo Abe a repris l’engagement familial au sein du PLD, au pouvoir depuis 1955 quasiment en permanence (sauf quelques années). Représentant (député) depuis juillet 1993 (élu dix fois), il a présidé le PLD et fut élu Premier Ministre du Japon du 26 septembre 2006 au 26 septembre 2007 et du 26 décembre 2012 au 16 septembre 2020.
Considéré comme un "faucon" du PLD, à savoir un nationaliste et un tantinet révisionniste, à la fois protectionniste et défenseur du libre-échangisme, ainsi que de la démocratie, Shinzo Abe avait annoncé sa démission le 28 août 2020, après le début éprouvant de la pandémie de covid-19, pour des raisons de santé, atteint d’une maladie chronique qui évoluait mal. Il a profondément marqué la vie politique japonaise tant sur le plan intérieur que sur le plan diplomatique où il s’était montré volontariste, affirmant sa fermeté vis-à-vis de la Chine, mais il avait aussi opéré un rapprochement avec la Russie, tout en confortant l’alliance militaire avec les Américains.
L’actuel Premier Ministre japonais (depuis le 4 octobre 2021), Fumio Kishida (PLD), qui fut Ministre des Affaires étrangères du 26 décembre 2012 au 3 août 2017, a été très touché par la mort de son mentor et a exclu d’arrêter le processus électoral : « Nous devons absolument défendre les élections libres et équitables, qui sont le fondement de la démocratie [et] nous ne céderons jamais à la violence. ».
Les trois derniers Présidents de la République française Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron ont été très affectés par l’annonce de l’assassinat de Shinzo Abe. Emmanuel Macron, qui l’avait reçu deux fois à Paris et avait été reçu à Tokyo en juin 2019, a précisé que l’ancien Premier Ministre japonais était un grand ami de la France et qu’ils avaient noué d’excellentes relations qui « ont contribué à rapprocher la France et le Japon et à intensifier leurs coopérations face aux défis mondiaux. ».
Resté député et encore actif et influent dans la vie politique, Shinzo Abe s’était exprimé le 27 février 2022 sur la chaîne Fuji Television à propos de l’invasion par la Russie de l'Ukraine. Il connaissait bien Vladimir Poutine qu’il avait rencontré vingt-sept fois et estimait que le Président russe ne voulait pas annexer de territoires mais avait peur pour la sécurité de son pays : « Vladimir Poutine ne peut absolument pas tolérer l’expansion de l’OTAN en Ukraine. ».
Toutefois, lors d’un meeting politique récent de son parti, l’ancien dirigeant japonais avait condamné l’agression russe : « L’invasion de l’Ukraine par la Russie ne peut absolument pas être tolérée. La Russie devrait résoudre ses problèmes par le dialogue et retirer ses troupes immédiatement. ».
L’assassinat de Shinzo Abe rappelle aussi l’extrême menace qui pèse même sur les anciens dirigeants d’États démocratiques. En tant qu’ancien Premier Ministre, Shinzo Abe ne bénéficiait de la protection que de deux gardes, ce qui est un dispositif très léger en cas d’attentat. Cela explique aussi pourquoi les anciens Présidents de la République, en France, bénéficient d’une protection étendue, car au pouvoir, ils ont pu engendrer des mécontentements pouvant déboucher sur de la haine. Quant aux anciens Premiers Ministres français, à commencer par Jean Castex, ils ne bénéficient que d’une protection légère. Comme Shinzo Abe…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (08 juillet 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Shinzo Abe.
Hiroshige à Paris.
Fukushima, dix ans après.
Le syndrome de Hiroshima.
The show must (Carlos) Ghosn.
G7 à Biarritz : Emmanuel Macron consacré prince du multilatéralisme.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220708-shinzo-abe.html
https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/shinzo-abe-sous-le-choc-les-242654
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