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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
9 juillet 2023

Élisabeth Borne la tenace !

« Je constate que la plupart des chantiers sont au vert. Nous avons "délivré". » (Élisabeth Borne, "Le Parisien" le 9 juillet 2023).





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Désormais, il n'y a plus beaucoup de doute : la Première Ministre Élisabeth Borne restera certainement à Matignon cet été. Quand j'écris cela, je m'avance beaucoup (au risque d'être démenti dans quelques jours), mais quel serait l'intérêt du Président de la République Emmanuel Macron, de sa majorité présidentielle et, plus généralement (l'essentiel !), quel serait l'intérêt du pays de changer de Premier Ministre ? Aucun.

Depuis le milieu du mois d'avril 2023, et l'adoption définitive (la promulgation) de la réforme des retraites, Élisabeth Borne était pourtant considérée comme en instance de départ. Pour quelle raison alors qu'elle a "fait le job", comme on dit vulgairement ? Dans "Le Parisien" du dimanche 9 juillet 2023 (à défaut de JDD ?), Élisabeth Borne le dit avec une forme d'anglicisme : elle a "délivré" (qui, dans une grande boîte international, n'a pas dit cela lorsqu'il a des comptes à rendre à sa hiérarchie ?).

Il est déjà important de rappeler que si Élisabeth Borne n'est pas la première femme à Matignon (Édith Cresson l'a été il y a trente ans), elle est la première à ne pas l'avoir été de manière intérimaire (Édith Cresson était coincée entre Michel Rocard et Pierre Bérégovoy, et les éléphants du PS ne lui ont pas facilité la tâche en la court-circuitant systématiquement).

Élisabeth Borne a franchi allègrement l'étape de la première année à Matignon. Généralement, le seuil est six mois à partir duquel le chef du gouvernement reçoit les insignes de grand-croix de l'ordre national du Mérite (de tous les Premiers Ministres de la Cinquième République, seul l'intérimaire Bernard Cazeneuve ne les a pas reçus). Un an et dix-sept motions de censure, toutes qui ont échoué, malgré l'absence de majorité absolue à l'Assemblée Nationale. Il y aurait d'ailleurs à réfléchir, même si deux nominations ne forment pas une règle, sur le fait que les rares et seuls cas où une femme a été nommée à Matignon, le gouvernement ne bénéficiait pas d'une majorité absolue à l'Assemblée.

Pourtant, on ne pourrait pas forcément dire qu'Élisabeth Borne soit conciliante et puisse être rassembleuse au-delà de son camp. On se moque même du côté sec et austère de la femme, ce qui fait penser à un lointain prédécesseur pour lequel elle a travaillé à Matignon, Lionel Jospin : le numéro du 22 juin 2022 du "Gorafi" a en effet donné cette "information" décevante : « L'homme qui prétendait avoir vu Élisabeth Borne rire en 1986 avoue sur son lit de mort qu'il avait tout inventé. (…) Il est parti en paix après avoir révélé son secret. » !

L'un de ses échecs en un an, c'est bien d'avoir été dans l'incapacité d'élargir sa majorité parlementaire, et, disons-le clairement car il s'agit de cela, d'emmener le groupe LR de l'Assemblée (j'insiste, le groupe LR plus que le parti Les Républicains lui-même) dans l'aventure gouvernementale (malgré la seule "prise de guerre" qui s'est avérée contre-productive, Damien Abad, le président du groupe LR à l'Assemblée, dont elle a demandé très vite la démission).

L'impossibilité de réunir tout le groupe LR de l'Assemblée sur la réforme des retraites pourtant réglée par les sénateurs LR alors que LR a prôné un rallongement de l'âge de la retraite aux deux dernières élections présidentielles, a montré qu'il n'y avait aucune possibilité de convenir d'une alliance, même provisoire, entre Emmanuel Macron et LR, et l'identité du Premier Ministre importe peu, car ce sont les députés LR qui le refuseraient systématiquement, eux qui doivent souvent leur élection (ou réélection) dans leur circonscription par leur opposition forte à Emmanuel Macron. D'ailleurs, les LR macron-compatibles ne sont plus LR mais Renaissance, et depuis 2017 et plus encore depuis 2022, ils sont nombreux, mais eux sont déjà inclus dans la majorité et ne peuvent pas contribuer à l'élargir pour atteindre la majorité absolue.

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D'ailleurs, même si le gouvernement copiait les propositions de LR en matière d'immigration, le groupe LR de l'Assemblée resterait en retrait pour ne pas être critiqué sur leur potentielle allégeance à Emmanuel Macron (c'était déjà le cas pour la réforme des retraites). L'horizon de LR est évidemment l'élection présidentielle de 2027 : l'impossibilité de se représenter pour Emmanuel Macron donne une opportunité à LR de retrouver les vieilles habitudes d'alternance. Le problème, c'est qu'à 5% en 2022, les électeurs, même proches de son électorat, ont zappé ce parti qui devait pourtant à l'origine rassembler un Français sur deux. Héritier du macronisme ou héritier de la vieille UMP ? Tout se fera naturellement (et c'est malheureux) dans la personnalité des candidats qui se présenteront. Seul Édouard Philippe (plus en tout cas que Bruno Le Maire) pourrait envisager de revendiquer sérieusement ce double héritage.

Les événements consécutifs à la mort de Nahel (faut-il les nommer émeutes ?), s'ils ont remis en première ligne la sécurité dans les sujets de préoccupation des Français (alors que pendant ces quelques dernières années, le pouvoir d'achat était plus préoccupant), ce qui ne facilite pas l'agenda du gouvernement. Au moins, si on avait un doute, la page de la réforme des retraites est définitivement tournée. Elle l'était déjà avant ces émeutes, mais là, le climat politique est passé clairement à autre chose.

En revanche, cela ne se passe pas comme l'aurait souhaité l'Élysée. Le 17 avril 2023, Emmanuel Macron avait en effet présenté un programme de cent jours pour retrouver ce qu'il appelait l'apaisement. Ce sera difficile de dire que l'apaisement est au rendez-vous et il n'est même pas certain que le Président de la République intervienne publiquement à l'occasion de la fête nationale ce vendredi 14 juillet 2023 : quel serait l'effet de la parole présidentielle si elle était suivie par de nouvelles émeutes ? Dévastateur. On peut se rappeler l'interview de François Hollande le 14 juillet 2016 quelques heures avant l'attentat de Nice.

Pourtant, il y a un besoin de cette parole présidentielle, un besoin que le Président ne soit pas dans le commentaire (Élisabeth Borne a bien compris puisqu'elle a insisté dimanche dans "Le Parisien" sur ce thème : « Je ne suis pas dans le commentaire, mais dans l'action. »), il y a une nécessité que le pouvoir apporte des solutions concrètes aux problèmes qui se posent et notamment à la suite des émeutes.

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Élisabeth Borne est une très bonne élève et, dit-on, étudie impeccablement les sujets auxquels elle se consacre. Elle sécurise tous les dossiers qu'elle instruit en cherchant les contre-arguments et en y apportant des réponses. Ce côté très scolaire peut cependant lui faire faire des erreurs, la principale a été de ne pas avoir compris qu'elle ne pourrait pas convaincre certains députés LR de voter pour la réforme des retraites. Sur le papier, en théorie, il ne devait y avoir aucun problème puisque la version de cette réforme a été proposée par le groupe LR du Sénat. Mais elle n'avait pas pris en compte un élément totalement irrationnel : que le président du groupe LR à l'Assemblée, Olivier Marleix, fût dans l'incapacité d'imposer la discipline de vote dans son propre groupe.

Malgré cette erreur, elle continue à adopter un ton volontiers propre à amadouer le groupe LR. Dans "Le Parisien", elle a ainsi proposé d'élargir aux mineurs les amendes forfaitaires, même si le RN considère que c'est insuffisant face aux dégâts commis par les émeutiers : « Quand un adulte commet un acte de cette nature, on peut avoir recours à une amende forfaitaire. Ce n'est pas possible pour les mineurs. Nous allons donc construire un dispositif qui le permette. ». Elle a aussi tenté d'anticiper pour les 13 et 14 juillet 2023 en interdisant la possibilité de faire des tirs de mortiers : « Je viens de signer, dans un décret publié ce dimanche au Journal officiel, l'interdiction de la vente, du port et du transport de mortier d'artifices à cette occasion. ». Enfin, elle a axé son combat politique contre les mélenchonistes qui laissent entrevoir une certaine mollesse dans leur condamnation des émeutes : « Quand LFI ne condamne pas les violences, elle les justifie. Quand ils disent qu'il ne faut pas incendier certains bâtiments, en creux, ils expliquent que pour d'autres, ce n'est pas grave. ». Toutes ces déclarations concourent à renforcer les liens entre LR et la majorité, mais de manière assez inutile puisque Les Républicains, dans tous les cas, ne veulent pas s'intégrer à la majorité et devenir cogérants de la responsabilité du gouvernement.

Pour l'heure, Élisabeth Borne a fait exactement ce que le Président de la République lui a demandé de faire. D'où sa confiance renouvelée, notamment à l'occasion de la commémoration du quatre-vingt-troisième anniversaire de l'appel du 18 juin de De Gaulle au Mont Valérien : « Il a eu l'occasion de dire que j'avais sa confiance. Pour avancer, j'ai besoin de sa confiance et de celle du Parlement. ». Ce sera plus ardu pour le Parlement !

Son interview au "Parisien" a montré par ailleurs qu'elle s'accrochait à Matignon et qu'elle présentait son programme pour les prochains mois. Certes, Jean-Marc Ayrault avait aussi présenté le 25 novembre 2013 son programme de grande réforme fiscale avant d'être renvoyé quelques semaines plus tard par François Hollande et remplacé par Manuel Valls, mais la situation paraît ici très différente car il n'y a pas eu d'échéances électorales (à l'époque, les élections municipales de mars 2014 avaient été un désastre pour le pouvoir socialiste doublé de l'élection d'une dizaine de maires FN).

Il y a peu de chance que de potentiels successeurs puissent faire mieux qu'Élisabeth Borne pour trouver un accord avec LR (Gérald Darmanin et Bruno Le Maire sont peu appréciés des actuels députés LR). Et la logique voudrait que la Première Ministre aille au moins jusqu'aux élections européennes de juin 2024, afin de servir de fusible en cas d'échec (Manuel Valls avait pris ses fonctions avant l'échec des européennes de mai 2014 pour le gouvernement, et Jean-Pierre Raffarin avait continué en formant un troisième gouvernement après les européennes de mai 2004). Depuis 2002, les élections européennes constituent un sorte d'échéances de mi-mandat présidentiel. Une respiration.

Dans son livre sur la Première Ministre ("Élisabeth Borne, la Secrète"), sorti le 4 mai 2023 chez L'Archipel, Bérengère Bonte, journaliste de France Info et ancienne directrice adjointe de la rédaction d'Europe 1, a évoqué le comportement beaucoup plus politique qu'elle ne laisse entrevoir d'Élisabeth Borne lors de son premier entretien avec elle pour écrire son livre : « [Elle] se montre non pas techno mais pragmatique, non pas ennuyeuse mais franchement séductrice. Non pas taiseuse mais cash et même généreuse. Maline, incontestablement. Et beaucoup plus politique que certains se plaisent à le laisser penser. ».

Et la journaliste de la décrire peu avant sa nomination à Matignon :
« Élisabeth Borne a beau jouer les bons élèves, ça ne fait pas d'elle une courtisane. Pas au sens où l'on imagine un ambitieux flagorner outrageusement. Pas même à candidater ouvertement pour un poste qui lui siérait. Mais Matignon, quand même, quand elle y pense... Dès la rentrée de septembre 2021, quelques-uns l'y voient déjà. (…) C'est une femme et elle vient de la gauche ! Si le patron est réélu, pensent-ils, c'est qu'il aura achevé de dynamiter la droite. En cas de majorité fragile, l'appoint se fera plutôt à gauche. (…) La ministre ne candidate évidemment pas ouvertement pour le poste, mais on l'entend le penser très fort. Et le bruit de fond Borne se répand, venu de la gauche de la majorité. (…) Elle en parle à Anne-Marie Idrac, sans imaginer qu'elle n'est qu'à moitié convaincue. Non pas des qualités humaines et techniques d'Élisabeth Borne, ni du bilan qu'elle peut revendiquer sur le premier quinquennat, mais de sa capacité à piloter politiquement la majorité. En tout cas, l'idée se répand. Alexis Kohler, l'incontournable de l'Élysée, serait, dit-on, lui aussi un allié. ».

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Béréngère Bonte a alors raconté une rencontre le 31 mars 2022 avec cette même Anne-Marie Idrac :
« L'ancienne patronne de la SNCF s'y connaît en vraies-fausses rumeurs pour Matignon. En 2017, c'est elle dont le nom avait circulé, et pas seulement parce qu'elle avait amené François Bayrou à Emmanuel Macron. Devant elle, Élisabeth Borne ne s'en cache pas : oui, elle veut jouer sa carte ; oui, elle en a envie. "Pour le poste dont on ne parle pas, trouve-toi des appuis ! Faire campagne, c'est précisément ce que je n'ai pas fait il y a cinq ans. Et ça m'est passé sous le nez". ». Après le second tour de l'élection présidentielle le 24 avril 2022 : « À nouveau, les regards se tournent vers rue de Grenelle. La Secrète bouillonne. Elle fait des ronds dans son bureau. Officiellement, elle se tait. (…) Le samedi 7 mai, à l'investiture du Président réélu, Élisabeth Borne est au premier rang, tout sourire dans une petite veste bleu ciel. Mais, en bonne coureuse de fond, elle attend sagement la ligne d'arrivée, qu'elle franchira finalement seule le 16 mai. En tête ! Mais d'un cheveu. (…) Accepter ou refuser ? La question ne se pose même pas. Manifestement, elle admire cet homme. (…) "Elle part à l'Élysée en mode Hulk !" ».

Avec son directeur de cabinet Aurélien Rousseau, Élisabeth Borne s'est attelée à la formation de son gouvernement, car l'Élysée n'avait rien prévu : « Le dircab de la Secrète rappelle souvent (…) qu'elle est "plus politique qu'il n'y paraît", qu'elle a bien compris le poids politique d'un Darmanin ou d'un Le Maire. Elle sait qu'il va falloir composer avec les deux anciens LR qui, accessoirement, rêvaient, et rêvent toujours, de sa place à elle. Sa patte dans ce premier gouvernement ? Les Dussopt, Attal, Grégoire qu'elle veut garder du premier quinquennat. Et des idées plus inattendues qui fusent. Pap Ndiaye, notamment. ». Quant à son action à Matignon, Élisabeth Borne aurait identifié trois thèmes majeurs pour lesquels elle voudrait laisser sa marque : « Un : la transition écologique. Deux : le plein emploi. Trois : l'égalité des chances, l'émancipation, la jeunesse. ».

Il faut noter que les perspectives d'un grand remaniement qui changerait peut-être jusqu'au Premier Ministre dont les rumeurs courent depuis avril 2023 ne sont pas les premières dans l'histoire récente. En avril 2010, le Président Nicolas Sarkozy avait également laissé entendre qu'il remodelait profondément le gouvernement, ce qui avait donné quelque espoir à Jean-Louis Borloo d'atterrir à Matignon (l'histoire dira qu'il n'en a jamais été question), et finalement, François Fillon s'est accroché à Matignon (encouragé par Édouard Balladur) et cela a abouti à un remaniement de faible ampleur politique en novembre 2010.

En revanche, ces rumeurs de remaniement sur une longue durée ne peuvent être que désastreuses dans l'activité gouvernementale. Plusieurs ministres sont, aujourd'hui, considérés comme sur le départ, c'est le cas pour Marlène Schiappa (à cause du Fonds Marianne), François Braun (inaudible à la Santé), ou encore Pap Ndiaye, surpris, pour ne pas dire estomaqué, comme toute la presse, par la volonté présidentielle de raccourcir les vacances scolaires (les recteurs d'académie ne savent même pas quel ministre fera la rentrée avec eux en septembre 2023).

L'important pour le pouvoir actuel, c'est de montrer qu'il s'occupe des dossiers brûlants du pays, mais sans faire d'autosatisfaction. Le point crucial de sa crédibilité sera donc les 13 et 14 juillet 2023, est-ce qu'il arrivera à prévenir tous les débordements qui ont lieu généralement en cette période comme en période du nouvel an où les concours du nombre de voitures brûlés rivalisent avec un vandalisme désormais souvent récurrent ? Ce sera peut-être à Élisabeth Borne de tenir cette parole présidentielle. Auquel cas, cela la consacrera à Matignon.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 juillet 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Élisabeth Borne la tenace !
Emmanuel Macron.
Un Président réélu.
La réforme des retraites.
Brigitte Macron.
Rima Abdul-Malak.
Claude Malhuret.
Robert Badinter.
Olivier Véran.
Aurore Bergé.

Olivier Dussopt.
Bruno Le Maire.
François Bayrou.
Caroline Cayeux.
Sacha Houlié.
Christophe Béchu.
Agnès Pannier-Runacher.
François Braun.
Jean-Louis Bourlanges.
Jean-Yves Le Drian.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230709-elisabeth-borne.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/elisabeth-borne-la-tenace-249287

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/07/10/39968665.html






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