Joseph Paul-Boncour, un quasi-centenaire oublié
« Ce groupe [des républicains socialistes] (…) est bien connu des historiens de la Troisième République. Aristide Briand, Alexandre Millerand, René Viviani, Paul Painlevé, Paul-Boncour, Anatole de Monzie et Maurice Violette, qui l'ont animé, ont contribué à lui donner de l'importance sans commune mesure avec ses effectifs (entre 26 et 43 députés selon les législatures). » (Yves Billard, historien à Montpellier, en juillet 1996).
Il y a 150 ans, le 4 août 1873, est né à Saint-Aignan, pas loin de Blois, la personnalité politique Joseph Paul-Boncour. Si le nom de ce grand orateur ne dit rien à beaucoup de Français, c'est probablement injuste car il a été l'un des hommes d'État marquants de la Troisième République. Il est mort quelques mois avant ses 99 ans, le 28 mars 1972 à Paris, lors du mandat de Georges Pompidou, sous la Cinquième République, et faisait figure de dinosaure de la tradition républicaine. Fils de médecin, destiné à devenir un officier de marine, l'homme avait voulu devenir comédien ; il fut avocat et homme politique, avec « un certain comportement physique subtilement théâtral » dit sa notice de l'Assemblée Nationale.
Dans un article publié dans "Le Monde" du 15 juillet 2023 sur la biographie fouillée de Joseph Paul-Boncour réalisée par Matthieu Boisdron (objet de sa thèse soutenue à la Sorbonne), l'historien Pierre Karila-Cohen résume ainsi l'homme politique (et l'exploit de son biographe) : « Son parcours, toujours empreint d’une forme de prudence et d’une propension au juridisme, possède quelque chose d’inachevé, presque d’ennuyeux, dont il était difficile de faire la matière d’une biographie. ».
Joseph Paul-Boncour a été très brièvement chef du gouvernement, investi Président du Conseil du 18 décembre 1932 au 28 janvier 1933, entre deux gouvernements dirigés par les frères rivaux du radicalisme, Édouard Herriot et Édouard Daladier. Il a surtout brillé par son action diplomatique. Membre de neuf gouvernements, de 1911 à 1938, il a principalement eu la responsabilité des affaires étrangères : Ministre du Travail et de la Prévoyance sociale du 2 mars 1911 au 27 juin 1911, Ministre de la Guerre du 3 juin 1932 au 19 décembre 1932, Ministre des Affaires étrangères du 18 décembre 1932 au 30 janvier 1934 et du 13 mars 1938 au 10 avril 1938, Ministre de la Défense nationale et d e la Guerre du 4 au 9 février 1934, enfin Ministre d'État, délégué permanent à la Société des Nations (SDN) à Genève du 24 janvier 1936 au 4 juin 1936. Il n'est pas entré au premier gouvernement de Léon Blum qui ne lui proposait qu'un poste (honorifique) de Ministre d'État alors qu'il voulait retrouver les Affaires étrangères (il resta alors délégué de la France à la SDN).
Toutefois, parmi ses chefs de gouvernement quand il était ministre, le dernier fut Léon Blum. Ses relations avec lui étaient particulières. S'il a été temporairement membre de la SFIO, entre 1916 et 1931, Joseph Paul-Boncour a quitté dès avant le Front populaire ce parti, et a rejoint celui pour lequel il s'était engagé au début de sa carrière politique, élu député du Loir-et-Cher en janvier 1909 (réélu en 1910 mais battu de justesse (de 38 voix !) en 1914 par un candidat républicain ; il avait élu conseiller municipal de Saint-Aignan dès 1904, jusqu'en 1912, et conseiller général du Loir-et-Cher de 1909 à 1919), à savoir le Parti républicain socialiste. Il reprochait à la SFIO d'être trop antimilitariste et surtout, de refuser de participer à des gouvernements "bourgeois".
Ce parti des républicains socialistes, qui regroupait sous la Troisième République ceux qu'on appelait les "socialistes indépendants", à l'instar de Paul Painlevé, René Viviani, Aristide Briand, Victor Augagneur (maire de Lyon), etc., était, avec les radicaux et l'Alliance démocratique, l'un de ceux qui ont véritablement façonné la Troisième République. Il se situait à l'aile gauche du radicalisme mais à l'aile droite du socialisme. Le mot qui pouvait qualifier le mieux ses membres à cette époque, qui a connu la division du mouvement ouvrier avec le congrès de Tours, est "réformisme".
Ces socialistes étaient favorables à la fin du capitalisme mais au moyen de réformes, pleinement respectueux des institutions républicaines et totalement opposés à la volonté révolutionnaire, du moins affichée dans les discours, de la SFIO. Le Parti républicain socialiste a été fondé officiellement le 10 juillet 1911 à Paris (Salle Danube), regroupant 300 délégués représentants quelque 6 000 adhérents et 13 députés (ce parti n'a jamais eu beaucoup de parlementaires en raison de l'attraction électorale tant du parti radical, hégémonique entre les deux guerres, et de la SFIO).
L'engagement politique de Joseph Paul-Boncour était double : d'une part, il était docteur en doit public et économique politique (sa thèse a porté sur le syndicalisme avec pour titre "le fédéralisme économique"), et un avocat très doué et avec un talent oratoire remarquable, il a notamment défendu la famille de Jean Jaurès en mars 1919 (aux côté de Le Troquer et Ducos de La Haille) au procès de son assassin Raoul Villain qui fut finalement acquitté ; d'autre part, il a travaillé aux côtés de certains ministres très importants, il a été le collaborateur très proche du Président du Conseil Pierre Waldeck-Rousseau de 1899 à 1902, puis le directeur de cabinet de René Viviani, alors Ministre du Travail (le premier à ce ministère en France), de 1906 à 1909, dans le premier gouvernement de Clemenceau. René Viviani était le premier socialiste à prendre des responsabilités gouvernementales ; proche de Jean Jaurès, Viviani avait refusé d'adhérer à la SFIO car il était réformiste et militait pour que le socialisme s'appliquât progressivement dans le cadre institutionnel de l'époque.
Ce débat entre réformistes et révolutionnaires restera permanent plus d'un siècle plus tard, tant pour le socialisme (par exemple, la différence entre le PS et FI) que pour l'écologisme politique (la politique des petits pas face à un grand renversement politique de nature totalitaire pour appliquer la transition écologique en cours).
Joseph Paul-Boncour était donc un précurseur dans le domaine du travail, il connaissait bien le Ministère du Travail pour l'avoir créé avec René Viviani (il a été aussi le directeur du personnel de ce ministère) et naturellement, il a été nommé ministre du travail une fois confirmé parlementaire. Après le renversement du gouvernement, il préféra rester député pour poursuivre la procédure législative de la loi sur sur le repos hebdomadaire et les retraites ouvrières et paysannes, chantier qu'il avait commencé comme ministre, plutôt que de réintégrer un nouveau gouvernement pour s'occuper des Beaux-Arts (alors que le Président du Conseil Joseph Caillaux le lui avait proposé).
La vie politique est toujours une affaire de passion. En 1913, Joseph Paul-Boncour s'est ainsi battu en duel avec son collègue du même groupe des républicains socialistes, Anatole de Monzie, à la suite d'une altercation sur la candidature de Raymond Poincaré à la Présidence de la République. Les républicains socialistes étaient en effet divisés sur Poincaré : Joseph Paul-Boncour, Victor Augagneur, Paul Painlevé étaient contre ; Aristide Briand, Alexandre Millerand, Anatole de Monzie étaient pour.
Après avoir été mobilisé pendant la Première Guerre mondiale comme officier de réserve, Joseph Paul-Boncour a été réélu député, mais cette fois-ci de Paris, en 1919 (sur la liste de Léon Blum ; il avait adhéré à la SFIO en 1916 en envoyant son adhésion depuis Toul, où il était affecté, à la section de Saint-Aignan), réélu en 1924 mais dans le Tarn (où avait été élu Jaurès), réélu en 1928, et il s'est surtout préoccupé des questions de la paix (en 1928, il a présidé la commission des affaires étrangères). Entre 1924 et 1926, il s'est beaucoup intéressé à la question de la réduction du réarmement dans une Europe encore dévastée, lors de la préparation de différentes conférences internationales à Genève, Londres, La Haye, etc. Il a publié en outre un livre sur Lamennais en 1928 et a été élu président du conseil général du Tarn en 1932.
En 1927, il était partisan de la mobilisation, en temps de guerre, de tous les citoyens, quels que soient l'âge mais aussi le sexe, donc y compris des femmes, ce qui a provoqué une réaction très hostile de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (la proposition de loi du 7 mars 1927 a été momentanément abandonnée quelques mois plus tard, mais finalement adoptée le 11 juillet 1938 peu de temps avant le début de la Seconde Guerre mondiale).
En septembre 1931, Joseph Paul-Boncour, qui n'avait eu encore qu'une courte expérience ministérielle (en 1911, seulement trois mois), a quitté l'Assemblée Nationale pour se faire élire sénateur du Loir-et-Cher (réélu en octobre 1932 pour un mandat de neuf ans, jusqu'en 1941), ce qui l'a fait revenir dans son département natal (à l'origine, il devait se présenter à une élection sénatoriale partielle dans le Tarn, et une autre occasion s'est présentée dans le Loir-et-Cher). C'est dans ces conditions qu'il participa à de nombreux gouvernements au début des années 1930, responsable de la défense ou des affaires étrangères. En 1932, il a présidé le conseil de la SDN sur la Mandchourie (qui fut un échec international), et a participé à la conférence du désarmement avec André Tardieu et Édouard Herriot.
Lorsqu'il a formé son gouvernement, le 18 décembre 1932, soutenu par 373 députés sur 607 (la SFIO a bien voulu le soutenir, mais sans participer), Joseph Paul-Boncour a choisi notamment le radical Édouard Daladier à la Guerre, le socialiste Anatole de Monzie à l'Éducation nationale, le radical Camille Chautemps à l'Intérieur, le radical Henri Queuille à l'Agriculture, le radical Georges Bonnet aux Travaux publics, le radical Albert Sarraut (protecteur de René Bousquet) aux Colonies, le républicain Georges Leygues à la Marine, le socialiste Paul Painlevé à l'Air, le radical Pierre Cot aux Affaires étrangères (aidant Joseph Paul-Boncour à ce ministère), et le radical Jean Mistler aux Beaux-Arts. Son gouvernement fut renversé par l'opposition des députés à l'article 6 d'une loi de finances présentée le 28 janvier 1933 qui augmentait les impôts de 5%.
Sa politique étrangère (dont il était responsable entre 1932 et 1934, puis en 1938), en pleine ascension de l'Allemagne nazie, fut de rapprocher la France de l'URSS avec la signature d'un pacte de non agression (comme du temps de l'amitié franco-russe). Il voulait également un renforcement des liens avec la Yougoslavie (et plus généralement, il soihaitait une organisation danubienne) ainsi qu'un rapprochement avec l'Italie, l'idée étant d'isoler l'Allemagne.
Cette politique fut abandonnée par son successeur au ministère, Édouard Daladier en février 1934 après la chute du gouvernement de Camille Chautemps. Après un bref retour de quelques semaines dans ce Ministère des Affaires étrangères, Joseph Paul-Boncour en fut définitivement évincé du Ministère à la chute du deuxième gouvernement de Léon Blum le 10 avril 1938 et fut remplacé par Georges Bonnet dans le nouveau gouvernement d'Édouard Daladier, qui ont négocié et signé les Accords de Munich. Joseph Paul-Boncour était fermement opposé à ces accords qui montraient à Hitler la fragilité et la lâcheté des démocraties européennes.
Le 10 juillet 1940, alors encore sénateur, Joseph Paul-Boncour a été parmi les rares parlementaires à avoir voté contre les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Pas parce qu'il ne voulait pas donner le pouvoir à Pétain mais parce qu'il refusait sa Révolution nationale et le changement constitutionnel que voulait imposer Pierre Laval. Par la suite, il présida l'association des 80 parlementaires qui ont voté non. Pendant l'Occupation, habitant à la ligne de démarcation, il a aidé plusieurs résistants à passer la zone libre, dont le futur député gaulliste Jacques Baumel. Il a participé à des opérations de résistance à la fin de la guerre (il est entré dans la clandestinité dans le maquis du Lot).
Après la guerre il a retrouvé un mandat parlementaire, en 1944, comme membre de l'Assemblée consultative puis entre 1946 et 1948, élu sous l'étiquette SFIO comme membre du Conseil de la République (nouveau Sénat). À la Conférence de San Francisco, il a signé pour la France la Charte des Nations Unies le 26 juin 1945.
Après un échec électoral, Joseph Paul-Boncour s'est retiré de la vie politique en 1948 (à 75 ans) et a présidé la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme de 1948 à 1972. À sa mort en 1972, quasi-centenaire, il était le plus ancien Président du Conseil de la Troisième République.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (29 juillet 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Joseph Paul-Boncour.
G. Bruno et son Tour de France par Deux Enfants.
Pierre Mendès France.
Léon Blum.
Jean Jaurès.
Jean Zay.
Le général Georges Boulanger.
Georges Clemenceau.
Paul Déroulède.
Seconde Guerre mondiale.
Première Guerre mondiale.
Le Pacte Briand-Kellogg.
Le Traité de Versailles.
Charles Maurras.
L’école publique gratuite de Jules Ferry.
La loi du 9 décembre 1905.
Émile Combes.
Henri Queuille.
Rosa Luxemburg.
La Commune de Paris.
Le Front populaire.
Le congrès de Tours.
Georges Mandel.
Les Accords de Munich.
Édouard Daladier.
Clemenceau a perdu.
150 ans de traditions républicaines françaises.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230804-joseph-paul-boncour.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/joseph-paul-boncour-un-quasi-249504
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/08/02/39995400.html