La Sainte Farce de maître Robert Sabatier
« Un style est ce qui décourage le plagiat et tente le pastiche. » (Robert Sabatier, 1991).
L'écrivain français Robert Sabatier est né il y a 100 ans, le 17 août 1923 à Paris. Il est mort presque 89 ans plus tard, le 28 juin 2012 à Boulogne-Billancourt (à l'hôpital Ambroise-Paré). Romancier, poète, et même essayiste (il a écrit "L'État princier" en 1961 et aussi une impressionnante "Histoire de la poésie française" en neuf volumes sortis entre 1975 et 1982), Robert Sabatier est avant tout connu du grand public par son célèbre roman "Les Allumettes suédoises" sorti en 1969 (chez Albin Michel) qui a été un grand succès et adapté à la télévision par Jacques Ertaud (diffusé le 4 mars 1996).
Ce roman qui se veut sans prétention mais qui est très efficace raconte l'histoire d'un garçon dans les années 1930, autrement dit de lui, et cette histoire se retrouve dans huit tomes (parmi lesquels "Trois Sucettes à la menthe" en 1972 et "Les Noisettes sauvages" en 1974 sont les plus connus). À l'instar de "Sac de billes" de Joseph Joffo, un jeune lecteur (adolescent) peut s'identifier au héros des "Allumettes suédoises", ce qui explique sans doute le succès en librairie (à ce jour, plus de trois millions d'exemplaires ont été vendus).
Mais Robert Sabatier a sorti d'autres romans (comme son premier roman "Alain et le Nègre" en 1953 chez Albin Michel, "La Mort du figuier" en 1963 qui a été récompensé par le Prix Richelieu, "Le Chinois d'Afrique" en 1966, "La Souris verte" en 1990 qui évoque la Résistance, etc.) et même des romans policiers (sous un pseudonyme) en 1956. "Alain et le Nègre" a été adapté au cinéma par Maurice Delbez avec le titre "Un gosse de la Butte" (sorti le 2 décembre 1964), ainsi que son roman "Boulevard" (1956), chronique du quartier Pigalle, adapté au cinéma par Jean Duvivier (film sorti le 30 novembre 1960) avec Jean-Pierre Léaud et Pierre Mondy. "La Sainte Farce" (1960) et "Dessin sur un trottoir" (1964) ont également été portés à l'écran.
Parmi les recueils de poésies, son premier, "Les Fêtes solaires" sorti en 1952 a reçu le Prix Artaud (dont il fut le premier lauréat, un prix créé en l'honneur d'Antonin Artaud mort quelques années auparavant). Robert Sabatier a reçu aussi en 1969 le Grand Prix de la poésie de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre poétique. Citons aussi son "Dictionnaire de la mort" en 1967 et son "Livre de la Déraison souriante" (plein d'aphorismes) en 1991.
En 1971, Robert Sabatier a été élu membre de l'Académie Goncourt et à ce titre, il contribuait à l'élection, chaque année, du lauréat du fameux prix littéraire. Moins académique et plus médiatique, servant de caution littéraire en alternance avec Jean Dutourd, il était également l'invité de l'émission "Les Grosses Têtes" de Philippe Bouvard diffusée sur RTL, montrant érudition et humour.
Beaucoup d'études et de thèses, en France et à l'étranger, portent sur l'œuvre de Robert Sabatier qui a souvent alterné roman et poésie, affectant dans ses romans un style très poétique. Pour lui rendre hommage, je propose ici quelques "échantillons" de ses livres.
I. "Boulevard" (1956) :
1. « L'homme qui avance vers la cinquantaine n'aime parler de son âge qu'à ceux qui le rassurent. »
2. « Mourir n’est pas si facile. Vivre non plus. »
II. "Les Noisettes sauvages" (1969) :
3. « Le paysan ici vient au monde sans rien, nu comme un petit saint Jean, et, après un silence, il ajouta : Il n'a rien dans le bas de laine, tout est dans les bras. »
4. « On a fait faire la guerre par des gamins et ils n'ont pas le temps de vivre. »
III. "Trois sucettes à la menthe" (1972) :
5. « Vous ne me répondiez pas, vous aviez quitté ma vie, et toujours une question me rejoignait, simple comme la complainte du trouvère : Que sont mes amis devenus ? »
IV. "Les Fillettes chantantes" (1980) :
6. « En ce temps-là, j'habitais un jardin éblouissant. Les parterres de ma vie étaient semés de fleurs que je n'osais pas cueillir. J'avais seize ans. Le monde m'offrait ses portes, mais je n'en possédais pas la clef. J'étais tourmenté et joyeux. »
7. « Un jour de cafard, cette petite Louise, ne m'a-t-elle pas dit, en mimant le geste du hara-kiri : "Si ça continue, je vais me faire Sacha Guitry !" »
V. "Davis et Olivier" (1986) :
8. « Il finissait par perdre son bien le plus précieux : l'envie de rêver et d'espérer. »
VI. "La Souris verte" (1990) :
9. « Les gens se confinaient dans une seule pièce de leur logement, se couchaient habillés, se serraient comme des bêtes en tanière. Les files d'attente devant les boutiques, avec un sergent de ville près de l'entrée, offraient un spectacle lamentable. Jeunes ou vieux, tous n'avaient qu'un seul âge : celui de la misère, des lèvres gercées et des mains blessées d'engelures. La buée qui sortait des bouches me faisait penser à une parcelle d'âme quittant le corps. »
10. « Le bon entretien des futilités et des vices permet d'accéder plus sûrement à la connaissance de soi-même que, comme chez certains, la méditation solitaire, l'esclavage professionnel et la délectation morose... »
VII. "Le Livre de la déraison souriante" (1991) :
11. « Adam et Ève furent punis d'être végétariens. Ils auraient dû manger le serpent. »
12. « Si l'on vend son âme au Diable, c'est que Dieu n'en est pas toujours acquéreur. »
13. « Un rêve qui ne devient pas réalité est un rêve qui n'a pas été assez rêvé. »
14. « L'attente : entre l'absence et la présence, la contemplation du temps. »
15. « Il vaut mieux être le dernier de sa classe que le premier imbécile venu. Rien de tel qu'un imbécile pour avoir une idée originale et, bien entendu, imbécile. Les grandes antennes n'empêchent pas les petites œillères. »
16. « Il existe pire que les incapables ; ce sont les gens capables de tout. »
17. « S'opposer n’est autre que proposer. Une opposition sans proposition n’est qu’un mouvement d'humeur. »
18. « On trouve toujours quelque chose à aimer chez l'autre, ne serait-ce que son absence. »
19. « Le racisme est une manière de déléguer à l'autre le dégoût qu'on a de soi-même. »
20. « Une image de l'immobilité : la vie courante. »
21. « Écrire, c'est lire en soi pour écrire en l'autre. »
22. « Lorsque la mémoire était la seule écriture, l'homme chantait. Lorsque l'écriture naquit, il baissa la voix. Lorsque tout fut mis en chiffres, il se tut. »
VIII. "Olivier et ses amis" (1993) :
23. « Que de livres chez M. Stanislas ! On en trouvait partout, même dans la cuisine, même dans les toilettes. Les avait-il tous lus ? Olivier se le demandait. Parfois, les titres étaient bizarres, incompréhensibles. Pour les lire, il fallait être calé et on l'était encore plus quand on les avait lus. M. Stanislas appelait son grenier "le capharnaüm". Olivier croyait que ce mot venait de "cafard", peut-être parce que les livres attiraient ces insectes ou parce qu'on les prenait quand on "avait le cafard". Olivier lisait tout ce qui lui tombait sous la main : illustrés, magazines, journaux, et même les romans sentimentaux qu'adorait sa mère. »
IX. "Le Cygne noir" (1995) :
24. « Ma laideur m'a permis ce retrait où, comme Paul Valéry, je jouis sans fin de mon propre cerveau. »
25. « Ayant affirmé être un "grand cardiaque", il fut heureux d'avoir enfin trouvé sa dimension convenable. »
X. "Le Lit de la Merveille" (1997) :
26. « Mon poète préféré c'est Jules Supervielle. J'aime tout ce qu'il écrit. Il dit que le poète est le plus doux de tous les animaux. Il s'efface derrière ses poèmes, il est si modeste. »
XI. "Le Sourire aux lèvres" (2000) :
27. « Le meilleur du but, c'est le temps qu'on passe à l'atteindre. »
XII. "Le Cordonnier de la rue triste" (2009) :
28. « Cette petite fille, sa petite fille, si fragile, innocente, gracieuse. Et marquée de cette étoile cousue, symbole d'une très ancienne civilisation, de la mère de tant de religions mais pour les nazis et leurs complices français un symbole qu'ils marquaient d'infamie, désignaient à la haine, à la vindicte de toutes les forces du Mal. »
29. « L'auteur de ces lignes, après tant de livres, prend plaisir à raconter cette histoire, à s'attarder avec les personnages, à parcourir la ligne de la rue triste. Quelques êtres, tant d'autres dont il faudrait parler, chacun ayant son histoire personnelle, sa vie, son quotidien banal parfois, mais toujours intéressant car chaque homme, chaque femme, chaque enfant porte en lui-même son propre roman. »
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (12 août 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Robert Sabatier.
Hélène Carrère d'Encausse.
Molière.
Frédéric Dard.
Alfred Sauvy.
George Steiner.
Françoise Sagan.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230817-robert-sabatier.html
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-sainte-farce-de-maitre-robert-249594
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/08/13/40008335.html