Emmanuel Macron participera-t-il à la grande marche contre l'antisémitisme ?

« S'en prendre à un Juif, c'est s'en prendre au projet politique qui le reconnaît comme libre et égal. C'est toujours chercher à atteindre la République. (…) La République ne transige pas et ne transigera pas. Nous serons impitoyables face aux porteurs de haine. » (Emmanuel Macron, le 8 novembre 2023 aux 250 ans du Grand Orient de France).






Selon le Ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin invité le 10 novembre 2023 sur BFMTV, il y a eu, en France, 1 247 actes antisémites depuis le 7 octobre 2023 et l'attaque monstrueuses du Hamas contre Israël, soit trois fois le nombre pour toute l'année 2022 (436). Cela a conduit à 539 interpellations. En outre, 43 attentats islamistes ont été déjoués par les services de police depuis cinq ans.

C'est malheureux à dire, mais les leçons de l'histoire peuvent rarement faire quelque chose contre la ...c0nnerie ? ...ou les s@loperies ? (excusez-moi des gros mots) de quelques-uns. La France n'est pas antisémite, loin de là, mais l'antisémitisme est encore bien vivace en France, comme en Europe, des territoires pourtant ravagés par l'antisémitisme au siècle dernier.

Dans ce monde d'images rapides, d'informations furtives, de fake news, il est difficile de séparer la part des provocations et des manipulations, mais il faut aussi savoir rester au premier degré : ceux qui sont victimes, pointés du doigt, stigmatisés, ceux qui sont témoins, tous sont bien là, au premier degré, sans plaisanterie, sans billard à n bandes.

Cela dit, ce n'est pas une impression, ce sont des faits : depuis l'horrible massacre de Juifs en Israël perpétré par les terroristes du Hamas le 7 octobre 2023, certains, au lieu d'exprimer leur solidarité avec Israël et les Juifs (car l'attaque du Hamas a été l'expression la plus cruelle de l'antisémitisme depuis 1945), en rajoutent dans le macabre et la haine.

Faut-il médiatiser le moindre acte antisémite, la moindre croix de David peinte ? Peut-être pas, parce que leurs auteurs n'attendent que cela. Rappelons-nous aussi que le château de Versailles et d'autres grands sites touristiques ont dû être évacués quasiment tous les jours pendant la première semaine après le 7 octobre 2023 à cause d'alertes à la bombe que les pouvoirs publics ne pouvaient pas ignorer, surtout depuis l'attentat dans le lycée d'Arras (l'abus est un délit sévèrement puni). D'après les premières retours, les auteurs de ces appels anonymes seraient principalement des adolescents, plus irresponsables et bêtes que méchants et haineux.



L'antisémitisme reprend de la vigueur depuis une dizaine d'années et cet antisémitisme provient souvent plus des milieux islamo-gauchistes que de l'extrême droite. Le gouvernement n'est pas resté inerte devant cet enjeu et la Première Ministre Élisabeth Borne a présenté le 30 janvier 2023 son plan 2023-2026 contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine. Ce plan, composé de 80 actions pour garantir l'égalité des chances contre le fléau raciste et antisémite, apporte aussi une réponse pénale sévère. Il est élaboré selon cinq objectifs : premièrement, nommer la réalité du racisme, de l'antisémitisme et des discriminations et réaffirmer notre modèle universaliste ; deuxièmement, mesurer les phénomènes de racisme, d'antisémitisme et des discriminations ; troisièmement, mieux éduquer et mieux former, piliers du combat contre le racisme et l'antisémitisme ; quatrièmement, sanctionner les auteurs ; cinquièmement, accompagner les victimes.

Parmi les plus stigmatisés de la scène politique, la Présidente de l'Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet, qui s'était rendue en Israël pour exprimer sa solidarité et son soutien, a été particulièrement fustigée par Jean-Luc Mélenchon dans un douteux jeu de mots et quelques autres outrances. En effet, le gourou naufragé de l'insoumission a tweeté le 22 octobre 2023 : « Voici la France. Pendant ce temps, Madame Braun-Pivet campe à Tel-Aviv pour encourager le massacre. Pas au nom du peuple français ! ». Eh ben si, Monsieur Mélenchon ! Yaël Braun-Pivet est l'une des responsables politiques les plus légitimes à parler au nom du peuple français, quatrième personnage de l'État. Pour paraphraser un ancien député en difficulté judiciaire, elle est aussi la République. Et le choix du mot "camper" est absolument abject quand on sait que les membres de sa famille (d'origines juives polonaises et allemandes) ont dû fuir leur pays natal pour échapper aux camps.

Ce n'est donc pas un hasard si elle ainsi que son homologue du Sénat, Gérard Larcher, ont pris l'initiative le 6 novembre 2023 d'organiser une grande marche contre l'antisémitisme ce dimanche 12 novembre 2023 à 15 heures à Paris (départ des Invalides) : pour eux, un sursaut s'impose, d'où l'appel à tous les citoyens se reconnaissant dans les valeurs de la République.



De nombreuses personnalités ont déjà annoncé leur venue, en particulier la Première Ministre Élisabeth Borne, la quasi-totalité des ministres, en particulier Gabriel Attal, les anciens Présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande, l'ancien Premier Ministre Édouard Philippe (qui a retardé son déplacement en Martinique), la plupart des partis, etc. L'imam de Drancy Hassen Chalghoumi a aussi annoncé sa participation : « Si on a le sens des responsabilités, il faut aller à ce rassemblement parisien, dimanche. Je m’y rendrai sans hésiter. (…) Nos compatriotes juifs sont victimes de la haine depuis un mois. ». L'Association des maires de France a, de son côté, appelé à la même heure à des rassemblements en province devant les préfectures.

La proximité du 11 novembre est une coïncidence mais a aussi une signification. Il y a 105 ans, c'était la fin de la Première Guerre mondiale et la reconnaissance d'une France faite Nation par la participation de tous aux combats.



Deux polémiques politiciennes se sont ajoutées à ce mot d'ordre. La première provient de France insoumise qui a refusé de manifester contre l'antisémitisme, sous prétexte de ne pas défiler avec l'extrême droite. Mais il est clair que la motivation de faire bande à part est d'un autre registre. Le 8 novembre 2023, Jean-Luc Mélenchon l'a dévoilé sur Twitter : « Dimanche manif de "l'arc républicain" du RN à la macronie de Braun-Pivet. Et sous prétexte d'antisémitisme, ramène Israël-Palestine sans demander le cessez-le-feu. Les amis du soutien inconditionnel au massacre ont leur rendez-vous. ». Comme on le voit, la vieillesse est un naufrage, écrivait De Gaulle.

L'autre polémique, c'est le RN et savoir s'il faut accepter la présence de militants ou élus RN à cette manifestation. Marine Le Pen et Jordan Bardella ont annoncé qu'ils seraient présents, en queue de cortège s'il le fallait. Le président du CRIF Yonathan Arfi a cependant déclaré le 9 novembre 2023 sur LCI : « Nous ne souhaitons pas que des personnes qui sont héritières d’un parti fondé par d’anciens collaborateurs soient présentes. ». L'héritage est en effet très lourd et en 2017, Emmanuel Macron a rappelé : « D’aucuns avaient oublié que Marine Le Pen est la fille de Jean-Marie Le Pen. Il ne faut pas avoir de complaisance ou minimiser ce qu’est le Front national aujourd’hui dans notre pays. ».

Il faut être clair : on ne peut pas reprocher à Marine Le Pen un antisémitisme quel qu'il soit. S'il y a une chose qu'elle a faite du parti de son père fondateur, au point carrément de l'exclure, c'est justement de ne pas transiger sur la lutte contre l'antisémitisme. Et la plupart des cadres et élus du RN, très renouvelé sociologiquement depuis 2015 (date d'exclusion de Jean-Marie Le Pen), sont pour la plupart étrangers à l'antisémitisme. Serge Klarsfeld, président de Fils et Filles de dépotés juifs de France, s'est plutôt réjoui de l'annonce du RN dans "Le Figaro" : « Quand je vois un grand parti issu de l’extrême droite abandonner l’antisémitisme, le négationnisme, et marcher vers des valeurs républicaines, je m’en réjouis. Je prends acte de ces pas en avant du Rassemblement national. (…) Maintenant, je vois que la plupart des gens acceptent la présence du RN à cette marche. Il y a une évolution. (…) Je suis soulagé de voir le RN abandonner l’antisémitisme et se poser en défenseur des Juifs, mais je suis triste de voir l’extrême gauche abandonner sa ligne d’action contre l’antisémitisme. ».



Simplement, les faiblesses des souvenirs des dérapages jugés antisémites ou au moins injurieux du père fondateur dans les années 1980 et 1990 (Jean-Marie Le Pen n'aurait été condamné qu'une seule fois pour antisémitisme en 1986, selon "Ouest France", qui a cité une réponse qu'il a faite à Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV en 2014 : « Je vous mets au défi de trouver une seule phrase antisémite de ma vie politique. ») tant de Jordan Bardella (RN) que de Marion Maréchal (la petite-fille, future tête de liste du parti d'Éric Zemmour aux élections européennes de 2024) laissent entrevoir que leur lutte contre l'antisémitisme serait peu efficace étant donné qu'ils ne savent pas vraiment le détecter.

Pour clore ces polémiques, le Ministre de la Transition écologique Christophe Béchu a trouvé la formule sur France Info le 10 novembre 2023 : « Je suis choqué par ceux qui n'y participent pas, pas par ceux qui y participent. ». Belle formule mais qui pourrait se retourner contre le Président de la République lui-même. Emmanuel Macron participera-t-il à la cette grande marche ? À l'Élysée, on indiquait que ce n'était pas prévu, mais la présence du chef de l'État serait pourtant très efficace pour montrer l'unité de la Nation contre l'antisémitisme et pour défendre les valeurs républicaines. Ce 10 novembre 2023 au soir, en tout cas, son absence a été confirmée par l'Élysée tout en voyant cette marche comme « un motif d'espérance ».

D'un point de vue historique, on a déjà vu des Présidents de la République manifester, aussi étrange que cela puisse paraître (les manifestations étant généralement des revendications contre le pouvoir en place). Ainsi, François Mitterrand a manifesté le 14 mai 1990 contre l'antisémitisme et le racisme à la suite de la profanation du cimetière juif de Carpentras. François Hollande aussi a manifesté son émotion et son soutien le 11 janvier 2015, après les attentats de "Charlie Hebdo", aux côtés de nombreux chefs d'État et de gouvernement du monde entier venus apporter leur soutien chaleureux à la France.

Mais peut-on imaginer Emmanuel Macron marcher à côté de Marine Le Pen ? Cela ferait bizarre (adversaires du second tour aux deux dernières élections présidentielles), mais ce ne serait pas inédit. Même si ce n'était pas une manifestation, François hollande avait invité, entre autres, l'ancienne candidate à l'élection présidentielle Marine Le Pen le 27 novembre 2015 à la cour d'honneur des Invalides pour une cérémonie d'hommage aux victimes des attentats du 13 novembre 2015 : « En cet instant si grave et si douloureux, où la Nation fait corps avec elle-même, j'adresse en son nom notre compassion, notre affection, notre sollicitude aux familles et aux proches réunis ici dans ce même malheur. ».



Ce n'est pas non plus la première grande marche organisée à Paris contre l'antisémitisme. Des marches semblables, décentralisées, avaient eu lieu le 19 février 2019 pour dire non à l'antisémitisme. C'était l'occasion pour Édouard Philippe, alors Premier Ministre, de rappeler quelques évidences : « Dénoncer, se rassembler, marcher ne suffit pas, c’est vrai, c’est l’évidence, et c’est même, à certains égards, un peu désespérant ; et je suis sûr que, comme moi, vous vous demandez si, à certains égards, parfois, ce ne serait pas un peu contre-productif. Mais nous le faisons car nous savons que si nous ne dénonçons pas ces actes, que nous ne disons pas qu’ils sont inacceptables, alors nous perdons quelque chose. Donc nous le faisons et nous le faisons avec conviction. ». Et surtout, il a rappelé que l'antisémitisme tue : « Dans l’antisémitisme, on commence toujours par la parole et on finit par le crime. ».

Tue et tous : l'antisémitisme tue et l'antisémitisme est l'affaire de tous. Ce petit texte du pasteur et théologien allemand Martin Nielmöller, déporté à Dachau, le rappelle amèrement avec la force de l'évidence :

« Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
Je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus chercher les Juifs,
Je n’ai pas protesté, je n’étais pas juif.
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
Je n’ai pas protesté, je n’étais pas catholique.
Puis ils sont venus me chercher,
Et il ne restait personne pour protester. »


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 novembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Emmanuel Macron participera-t-il à la grande marche contre l'antisémitisme du 12 novembre 2023 ?
Gaza, victime avant tout du Hamas ?
Horreur en Israël : les points sur les i de Gérard Larcher et Emmanuel Macron.
Claude Bloch.
Mauschwitz.
Dieudonné, le salut par la rédemption ?
La rafle du Vel d’Hiv, 80 ans plus tard : les heures sombres de notre histoire...
Les 75 ans de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.
Sarah Halimi, assassinée car Juive.
La tragique expérience de Simone Veil à Auschwitz.
Anne Frank.
Robert Merle.
La lutte contre l’antisémitisme est l’affaire de tous !
Alain Finkielkraut, l’antisémitisme et la bêtise.
L’agression antisémite et le besoin de transcendance.
La Shoah.
Élie Wiesel.
Antisémitisme et morale en politique : l’attentat de la rue des Rosiers.
Massacre d’enfants juifs.







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https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/emmanuel-macron-participera-t-il-a-251434

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