Patrick Buisson, l'inquiétant militant cultivé

« Qui ne voit qu'au-delà de ses aspects bénéfiques, notre modèle de protection sociale a fabriqué, au bout du compte, moins de solidaires impliqués que de solitaires assistés, au point d'amplifier sinon de provoquer une crise de l'"être ensemble", selon le jargon des sociologues, autrement dit, une décomposition des mœurs qui avaient jusque-là institué la société française ? » (Patrick Buisson, 2016).







Le journaliste d'extrême droite Patrick Buisson est mort ce mardi 26 décembre 2023 aux Sables-d'Olonne à l'âge de 74 ans (il est né le 19 avril 1949 à Paris). Son corps a été retrouvé sans vie à son domicile et selon un journal, il aurait été victime d'un arrêt cardiaque. Une autopsie devrait être réalisée sous peu.

Il est toujours difficile de préciser très succinctement qui était Patrick Buisson, à la fois journaliste chez "Minute", au "Crapouillot" et à "Valeurs actuelles", historien de la vie politique (très fin connaisseur de la vie politique), au point de diriger la chaîne Histoire, éditorialiste régulier sur LCI pendant une longue période qui l'a rendu ami d'un certain Jean-Luc Mélenchon (qui a renié leur amitié une fois candidat insoumis), auteur de livres politiques plus ou moins pertinent (souvent plus, car l'observateur était précis et avait de la mémoire), producteur de documentaires politiques, et enfin, et la tentation des titres simplistes est là, ancien conseiller politique de Nicolas Sarkozy (hors organigramme).

L'un de ses premiers essais était pour faire un hagiographie de l'OAS et condamner la politique algérienne de De Gaulle, alors que par la suite, il soutenait qu'il fallait revenir à l'esprit de De Gaulle (qu'il avait lui-même combattu !). À l'époque, Jean-Marie Le Pen lui avait proposé d'être candidat FN aux élections législatives de 1986, proposition qu'il a déclinée.

L'œuvre de Patrick Buisson, si œuvre il y a, c'était d'essayer de créer des passerelles politiques et intellectuelles entre droite et extrême droite. L'union des droites, selon lui, mais en réalité, l'union des extrêmes droites. L'homme était intelligent et intellectuellement brillant bien que plutôt puant idéologiquement. C'est le danger lorsque des idées de fosses septiques sont servies par des brillantes personnes (aucune idée de chiotte ne gagne avec des promoteurs mauvais et imbéciles).

Et il n'a pas été loin d'y arriver, avec dans son escarcelle, Nicolas Sarkozy ! En effet, en 2005, le Ministre de l'Intérieur de l'époque avait été séduit par l'idéologue qui avait anticipé les 55% de non au référendum de 2005. Résultat, Nicolas Sarkozy l'a recruté comme conseiller politique, ou plutôt, conseiller ultrapolitique, d'abord place Beauvau, ensuite à l'Élysée entre 2007 et 2012. Son job était surtout concentré sur l'analyse des sondages, mais la bête était au château, des yeux, des oreilles aussi, au cœur du pouvoir suprême. Nicolas Sarkozy a paru plutôt naïf sur le coup : il comptait se servir d'un brillant observateur de la vie politique, et finalement, c'est l'idéologue d'extrême droite qui s'est servi d'un Président de la République un peu étonné par une telle trahison. C'était sans précédent... mais pas sans suivant (François Hollande a été, lui aussi, trompé par deux journalistes à la fin de son mandat).

Pendant près d'une dizaine d'années, Patrick Buisson était le conseiller de l'ombre de l'UMP. Il cherchait les leaders capables d'être candidats à l'élection présidentielle et d'être élus ...avec sa propre ascendance idéologique (en clair, capable de rassembler l'extrême droite au second tour). Il a conseillé aussi Jean-François Copé lors de sa pire période, c'est-à-dire lorsqu'il évoquait sérieusement sa candidature à l'Élysée et que tout le monde le prenait au sérieux (heureusement, cela n'a pas duré très longtemps, 2012-2014). Patrick Buisson a aussi repéré Laurent Wauquiez. Ne cherchez pas à savoir pourquoi ces trois personnalités : Nicolas Sarkozy, Jean-François Copé et Laurent Wauquiez ont prononcé des propos durs sur l'identité nationale, sur l'immigration, etc. Ils étaient téléguidés par Patrick Buisson. Bien auparavant, Patrick Buisson avait conseillé Philippe de Villiers (en 1994), mais aussi deux leaders de l'UDF, François Bayrou et Alain Madelin (selon Raphaëlle Bacqué en 2008).

L'immersion de l'idéologue d'extrême droite au cœur de la droite républicaine (UMP à l'époque) n'a pourtant pas été très concluante. Elle a fini en queue de poisson lorsqu'on a découvert que Patrick Buisson avait enregistré toutes les conversations privées avec le Président de la République. Comme je l'expliquais il y a près de dix ans, lors de cette découverte, ce n'est pas forcément le fait d'enregistrer qui pose problème moralement mais ce qu'on veut en faire, si on veut publier ces propos confidentiels, ou si on veut faire chanter un ancien Président de la République. Or, sur demande de Nicolas Sarkozy, le 14 mars 2014, la justice a contraint le site Atlantico à retirer les enregistrements de Patrick Buisson. Toujours est-il qu'il a été expulsé manu militari de la Sarkozie. Il a ensuite soutenu Nicolas Dupont-Aignan puis Éric Zemmour.

Pour autant, ses idées ont-elles perdu ? Il me semble que dix ans plus tard, au contraire, les idées de Patrick Buisson sont triomphantes. La loi Immigration en est même une sorte de signe tangible. Plus des trois quarts des Français, dans les sondages, lient l'immigration, l'insécurité, la peur de perdre son identité nationale. Non seulement c'est une victoire de l'idéologie d'extrême droite, mais LR, héritier de l'UMP, n'existe plus comme grand parti de gouvernement capable de diriger la France à court terme. L'actuel parti de droite et d'extrême droite est simplement le successeur de FN de Jean-Marie Le Pen. Et pourtant, cette loi Immigration a été portée par la majorité actuelle, qu'on pourrait dire centrale si ce n'est centriste.

L'un de ses principaux ouvrages politiques est "La Cause du peuple", sorti le 29 septembre 2016 (éd. Perrin), où, ingrat, il fustigeait le quinquennat de Nicolas Sarkozy : « Quelle faiblesse organique poussait-elle Nicolas Sarkozy à enchaîner presque automatiquement l'annonce d'une proposition un peu forte et l'ajout d'un codicille qui suggérait le contraire, comme s'il était effrayé par sa propre audace ? Pourquoi prenait-il pour habileté ce qui n'était qu'ambivalence, sinon contradiction ? Pour complémentarité ce qui n'était que confusion et incohérence ? Chez lui, la génuflexion suivait le blasphème, la contrition succédait à la bravade. ».

La buissonisation du débat politique depuis les années 2010 a été une victoire intellectuelle de l'ex-conseiller. Et même, l'extrême-droitisation de l'échiquier politique a débordé sur la gauche avec un Président socialiste François Hollande capable, en 2015, de défendre la déchéance de nationalité pour les terroristes. Toutefois, l'avancée idéologique de l'extrême droite a été beaucoup efficace avec 88 députés RN à l'Assemblée Nationale qu'avec un Patrick Buisson dans les couloirs de l'Élysée...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (26 décembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La débuissonisation de Nicolas Sarkozy.
Patrick Buisson.
Rassemblement national : objectif 2027... ou avant !
Jordan Bardella.
Marine Le Pen.
Le nouveau JDD et la récupération des Enzo...
Geoffroy Lejeune.
Attention, un train de violence peut en cacher un autre...
Éric Caliméro Zemmour.
Jean-Marie Le Pen et sa marque dans l'histoire.
La tactique politicienne du RN.
La sanction disciplinaire la plus lourde de la Cinquième.
Louis Aliot.
Le congrès du RN.
Grégoire de Fournas.
Incident raciste : 89 nuances de haine à la veille du congrès du RN ?
Le Front national des Le Pen, 50 ans plus tard...






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https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/patrick-buisson-l-inquietant-252212

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