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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
16 août 2019

Maurice Schumann, le résistant gaulliste démocrate-chrétien (2)

« Qu’aurais-je été si Alain ne m’avait appris à douter, Simone Weil à croire, Marc Sangnier à aimer et De Gaulle à combattre ? » (Maurice Schumann). Deuxième partie.


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Après avoir évoqué les premières années professionnelles de Maurice Schumann et son engagement dans la Résistance comme porte-parole de la France libre, je reviens sur son très long et prestigieux itinéraire politique.


L’homme politique de la IVe République

À la Libération, comme beaucoup de résistants, Maurice Schumann s’est investi dans l’action politique. Sa notoriété était déjà acquise grâce à son action historique pendant la guerre. Compagnon de la Libération, il a été encouragé par un industriel de Roubaix, Jean Catrice, ancien dirigeant du PDP (Parti démocrate populaire) dans le Nord avant la guerre et fondateur en janvier 1944 du Rassemblement démocratique des résistants d’inspiration chrétienne (RIC) qui s’est intégré au Mouvement républicain de Libération puis au MRP. Encouragé à s’implanter à Lille.

Désigné par l'ordonnance du 11 octobre 1944 comme membre de l'Assemblée consultative provisoire, Maurice Schumann a siégé au Palais du Luxembourg à Paris du 7 novembre 1944 au 3 août 1945 parmi les 247 autres membres, lui au titre de la France combattante comme notamment Alain Savary et Georges Gorse.

Tête de liste dans la 2e circonscription du Nord, Maurice Schumann fut ainsi élu député du Nord d’octobre 1945 à mars 1973, constamment réélu en juin 1946, novembre 1946, 1951, 1956, 1958, 1962, 1967 et 1968 (à partir de 1958, au scrutin majoritaire). Il fut élu également conseiller municipal de Lille du 26 avril 1953 au 5 février 1955 (comme deuxième de liste, il participa aussi en 1977 à la campagne municipale du ministre et physicien Norbert Ségard à Lille mais ils échouèrent contre le récent maire sortant Pierre Mauroy, qui en était à sa première élection sur son nom), conseiller général de Tourcoing de 1965 à 1967, conseiller municipal de Comines de 1971 à 1977, conseiller régional du Nord-Pas-de-Calais de 1974 à 1998. Il fut donc un élu très implanté dans le Nord, même s’il n’a jamais eu de fonction exécutive dans une collectivité locale.

Cofondateur du Mouvement républicain populaire (MRP) regroupant de nombreux combattants chrétiens issus de la Résistance, Maurice Schumann, président du groupe MRP à l'Asemblée constituante en 1945, fut le premier président national du MRP de novembre 1944 à mai 1949, puis son président d’honneur, ce qui montrait son importance puisque, à l’époque, le MRP représentait entre 25% et 30% des électeurs (24,9% aux élections législatives du 21 octobre 1945 ; premier parti de France avec 28,2% aux élections législatives du 2 juin 1946 ; 26,0% aux élections législatives du 10 novembre 1946). Fondateur du "Sillon" en 1894, Marc Sangnier (1873-1950), de nouveau député de 1945 à 1950, a été élu président d’honneur du MRP au congrès du 16 décembre 1945. Maurice Schumann, d’origine juive, s’était converti au catholicisme à la lecture de Bergson, Simone Weil et aux contacts des Dominicains.

Il expliqua plus tard son attachement à la démocratie chrétienne : « Si je devins le premier président national du Mouvement républicain populaire après avoir été le porte-parole du Général De Gaulle, c’était parce qu’il y avait une parenté profonde entre la démocratie d’inspiration chrétienne et le gaullisme : en parlant du "levain qui fera lever toute la pâte", Marc Sangnier avait inventé une image qui s’appliquait à l’une comme à l’autre ; les démocrates-chrétiens avaient assuré la continuité de la présence des catholiques dans la famille républicaine, le Général et les premiers volontaires qui l’entouraient, la continuité de la présence française dans le camp de la victoire finale. Ces deux choix essentiels qui ont éclairé ma vie m’ont pénétré de la même certitude : celle d’appartenir à une minorité de témoins qui ont conscience d’être une avant-garde parce qu’ils ont l’avenir pour complice. » ("La Revue des deux mondes" de novembre 1980).

Lors de la démission de De Gaulle le 20 janvier 1946, Maurice Schumann a réagi ainsi : « Né de la Résistance et dans la Résistance, le MRP fut dès l’origine et demeurera jusqu’au bout le parti de la fidélité au premier résistant de France. (…) À nos yeux cependant, le gaullisme n’est pas l’attachement à une personne. Il est d’abord le refus de toutes les lâchetés et de tous les abandons. Il est ensuite un acte de foi dans la renaissance française par la fraternité des Français. Ce message, nous l’avons entendu dès la première minute. Nous le servirons tant que nous vivrons. ».

Dès lors, il garda espoir d’un retour possible de De Gaulle au pouvoir, et cela dès le 24 janvier 1946 : « Faut-il perdre l’espoir de voir un jour Charles De Gaulle achever de ses propres mains la grande besogne à laquelle il a attaché son nom ? Pour préserver en nous cette lumière, la première condition à remplir est de maintenir le contrat, que De Gaulle lui-même a signé, entre la démocratie et la patrie, entre le peuple et la grandeur. Toute autre attitude eût fait de lui ce qu’il ne veut pas, ce qu’il ne peut pas être : l’otage d’une des deux France, alors que sa raison d’être, et peut-être de revenir, est d’empêcher qu’il y ait deux France. » (Éditorial paru dans "L’Aube").

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Lors du 5e congrès du MRP le 26 mai 1949, Maurice Schumann montra de quel type d’humanisme il se chauffait : « Parce que le communisme est un attentat permanent contre la personne humaine, combattons-le sans relâche ! Mais parce que les communistes sont des personnes humaines, ne les haïssons pas, si haineux qu’ils soient envers nous. (…) Parce que la République n’est à nos yeux vivante que dans la mesure où elle devient pleinement sociale et pleinement familiale, soyons, surtout maintenant, à l’intérieur du gouvernement et de la majorité, les défenseurs intraitables des communautés naturelles et des déshérités ! Défense républicaine et justice sociale, mais toujours l’une et l’autre, et jamais l’une sans l’autre. » (Discours retranscrit par "L’Aube").

Il représenta la France à la 5e assemblée générale des Nations Unies en 1950. Maurice Schumann a été un parlementaire très actif, ce qui l’a amené naturellement à siéger au gouvernement. Au départ, sur des strapontins, sous la IVe République : il fut nommé Secrétaire d’État aux Affaires étrangères du 11 août 1951 au 18 juin 1954 dans cinq gouvernements dirigés successivement par René Pleven, Edgar Faure, Antoine Pinay, René Mayer et Joseph Laniel.


L’homme politique de la Ve République

Maurice Schumann fut ensuite élu président de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée Nationale du 18 octobre 1957 au 14 avril 1962 et du 12 décembre 1962 au 2 avril 1967. Sa brève interruption est venue de sa nomination dans le gouvernement de Georges Pompidou comme (bref) Ministre délégué auprès du Premier Ministre, pour l’Aménagement du territoire du 14 avril 1962 au 16 mai 1962.

Par ailleurs, il fut président de l’Union des Français de l’étranger en 1960, et de beaucoup d’autres organismes plus ou moins politiques.

Maurice Schumann, gaulliste du MRP comme Edmond Michelet, approuva avec enthousiasme le retour au pouvoir du Général De Gaulle en mai 1958. Il vota bien sûr les plein pouvoirs pour résoudre la crise institutionnelle et il fut le promoteur de la Ve République. En 1962, il fut réélu député sous l’étiquette MRP et fut parmi les ministres MRP qui démissionnèrent du gouvernement lorsque De Gaulle s’est moqué, au cours de sa conférence de presse du 15 mai 1962, des partisans de la construction européenne (qu’il avait pourtant lui-même approuvée en appliquant le Traité de Rome). Malgré ce désaccord européen, Maurice Schumann a pleinement soutenu la politique institutionnelle de De Gaulle et en particulier l’élection du Président de la République au suffrage universel direct (en octobre 1962), malgré les protestations de la grande majorité de ses amis centristes.

Après la disparition totale du MRP de la vie politique, au profit du Centre démocrate de Jean Lecanuet (qui avait obtenu un bon score à l’élection présidentielle de décembre 1965), Maurice Schumann quitta le groupe centriste le 6 avril 1967 pour s’apparenter au groupe gaulliste avec l’étiquette UDR qu’il a prise désormais officiellement en novembre 1967. Entre-temps, il avait soutenu dès le premier tour la candidature de De Gaulle à l’élection présidentielle de décembre 1965 contre le candidat centriste Jean Lecanuet.







Maurice Schumann a poursuivi ensuite une carrière ministérielle prestigieuse entre 1967 et 1973 : Ministre d’État, chargé de la Recherche scientifique et des Questions atomiques et spatiales du 6 avril 1967 au 31 mai 1968, dans le gouvernement de Georges Pompidou, puis Ministre d’État, chargé des Affaires sociales du 31 mai 1968 au 20 juin 1969, dans les gouvernements de Georges Pompidou et de Maurice Couve de Murville, enfin, Ministre des Affaires étrangères du 22 juin 1969 au 15 mars 1973, dans les gouvernements de Jacques Chaban-Delmas et de Pierre Messmer.

En avril 1967, il fut étonné par le choix de De Gaulle de lui confier les questions atomiques, ce dernier lui répondit qu’il ne fallait pas donner les ministères aux professionnels de la discipline (le contraire de la pratique du Président Emmanuel Macron !), afin de susciter une vision neuve. Le 30 mai 1968, aux côtés de Michel Debré, Olivier Guichard, etc., Maurice Schumann a participé à la grande manifestation d’un million de personnes à Paris pour soutenir De Gaulle qui venait de "s’éclipser" à Baden-Baden et qui a décidé habilement la dissolution de l’Assemblée Nationale.

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En juin 1969, Jacques Chaban-Delmas, qui venait d’être nommé Premier Ministre par Georges Pompidou nouvellement élu Président de la République, est venu voir Maurice Schumann pour lui dire : « Il nous faut à la fois assurer la continuité du gaullisme et donner un nouveau départ à l’Europe. Tu es notre homme ! ».

Comme chef de la diplomatie française, Maurice Schumann a renforcé sinon initié les liens de la France avec l’Union Soviétique et avec la Chine communiste, et a été un promoteur très actif de l’adhésion du Royaume-Uni dans le Marché commun.

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En mars 1973, Maurice Schumann a été obligé de quitter le gouvernement car il a été battu le 11 mars 1973 au second tour des élections législatives dans sa circonscription du Nord qu’il avait trop négligée à cause du Quai d’Orsay. Il faut se rappeler que dans le Nord, il y avait une forte rivalité entre gaullistes et centristes, et que Maurice Schumann, élu de longue date sous l’étiquette centriste (entre 1945 et 1967) est passé à l’étiquette gaulliste (UDR), ce qui a pu étonner voire déstabiliser une partie de son électorat. Maurice Schumann a en effet échoué de 358 voix (à comparer aux 32 475 voix qu’il a obtenues) face à son rival socialiste "habituel", Gérard Haesebroek (1923-2012), maire d’Armentières.

S’il n’est plus jamais revenu au gouvernement, Maurice Schumann a su cependant bien rebondir en se faisant élire au Sénat pendant encore près d’un quart de siècle (jusqu’à sa mort), élu sénateur du Nord (UDR puis RPR) du 22 septembre 1974 au 9 février 1998 (réélu le 25 septembre 1983, sur une liste d’union UDF-RPR avec le centriste André Diligent, et le 27 septembre 1992).

Au Sénat, il fut élu vice-président du Sénat du 5 octobre 1977 au 5 octobre 1983 et président de la commission de la culture et de l’éducation du 9 octobre 1986 au 5 octobre 1995. Le 2 octobre 1995, il fut le doyen d’âge (à 85 ans) et présida le Sénat pendant la séance inaugurale (avant la réélection de René Monory au Plateau) où il prononça une allocution d’ouverture rappelant sa fidélité à De Gaulle, son élection à l’Assemblée consultative provisoire en novembre 1944, protestant contre l’abus des procédures législatives d’urgence et des délais trop longs des décrets d’application des lois, et réaffirmant la vigilance républicaine du Sénat.

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Ses principales prises de position durant son mandat de sénateur furent notamment contre la loi sur l’IVG (de Simone Veil) en décembre 1974, contre la loi sur le divorce en juin 1975, pour la loi Sécurité et Liberté (de Alain Peyrefitte) en décembre 1980, pour l’abolition de la peine de mort (de Robert Badinter) en septembre 1981, pour les lois de décentralisation (de Gaston Defferre) en janvier 1982, pour le RMI (de Michel Rocard) en 1988, pour la (première) réforme des retraites (d’Édouard Balladur) en 1993.

En ardent défenseur de la Ve République, il refusa le quinquennat en 2000, et critiqua ouvertement le rôle de plus en plus important du Conseil Constitutionnel prêt à annuler une loi en raison du préambule de la Constitution (préambule qui peut s’interpréter de différentes manières).

Dans le dernier article, j’évoquerai la reconnaissance littéraire de Maurice Schumann, et auparavant, ses positions sur la construction européenne et sur De Gaulle.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 février 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :

"Maurice Schumann, la voix de la Résistance" (2003) par Thibault Tellier, de l’Université de Lille-3, p171-183 du livre "L’Engagement dans la Résistance (France du Nord et Belgique)" sous la direction de Robert Vandenbussche, publication de l’Institut de recherche historique du Septentrion.

Biographie de Maurice Schumann dans "Le Dictionnaire des parlementaires français".

Être patriote.
Maurice Schumann.
Général De Gaulle.
Maréchal Leclerc.
L’appel du 18 juin 1940.
Daniel Cordier.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
François Jacob.
Loïc Bouvard.
Simone Veil.
Germaine Tillion.
La démocratie chrétienne.
Le gaullisme politique.
Pierre Messmer.
Georges Pompidou.
Jacques Chaban-Delmas.
Yves Guéna.
Edmond Michelet.
Jean Foyer.
Michel Debré.
Jean-Marcel Jeanneney.
Olivier Guichard.
Alain Peyrefitte.
Robert Galley.
Jean Charbonnel.
André Malraux.
Maurice Druon.
Robert Boulin.
Pierre Bas.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180209-maurice-schumann-2.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/maurice-schumann-le-resistant-201469

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/08/21/36127387.html



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