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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
20 novembre 2018

Grandeur et décadence de Carlos Ghosn

« À ta place, ce cul, je voudrais l’installer sur un trône. Tu pourrais augmenter indéfiniment tes richesses, manger fort souvent de l’andouille et rouler carrosse par les rues. » (Alfred Jarry, "Ubu roi", 1896).


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L’une de ses dernières apparitions publiques à la télévision française fut en compagnie du Président de la République française Emmanuel Macron le 8 novembre 2018 à l’usine Renault de Maubeuge au cours de la fameuse "itinérance mémorielle". Carlos Ghosn était encore le patron adulé, l’un des modèles de capitaine d’industrie au patriotisme multicartes (il est devenu citoyen français après avoir pris la tête du groupe Renault, il est aussi Libanais et Brésilien). Il avait annoncé un investissement à Maubeuge de 400 millions d’euros sur cinq ans et le recrutement de 200 personnes en 2019. En 2017, Renault avait déjà investi 1 milliard d’euros en France pour la construction de voitures électriques. Plus généralement, il a misé sur la voiture 100% électrique dès 2007, ce qui était très risqué à l’époque, et en 2016, son groupe en a déjà vendu 350 000. Cette clairvoyance en faveur des véhicules sans émission de gaz à effet de serre l’a fait nommer au Comité des sources d’énergie nouvelles et renouvelables de l’ONU.

Balzac aurait pu s’amuser avec cette destinée digne d’un César Birotteau d’il y a cent quatre-vingts ans. Ou Alfred Jarry en écrire une pièce… L’annonce de l’arrestation de Carlos Ghosn à Tokyo ce lundi 19 novembre 2018 dans le cadre d’une enquête judiciaire de fraude fiscale portant sur plusieurs millions d’euros a de quoi mettre le capitalisme mondial dans un état de choc. L’action Renault s’est effondrée de 12% à Paris et l’action Nissan de 11% à Francfort à la suite de cette annonce. Un choc de même sidération que l’arrestation de celui qui aurait dû (forcément, les sondages !) devenir le prochain locataire de l'Élysée en mai 2011 (Dominique Strauss-Kahn).

Oserais-je une réflexion à deux balles ? La vénalité et l’hypersexualité seraient-elles les points faibles des puissants ? L’impunité. L’argent qui appelle l’argent. L’argent qui peut tout, qui achète tout ? Au Japon, la garde-à-vue peut durer plus d’une vingtaine de jours par chef d’inculpation. En quelques heures, le roi des industriels est tombé de son piédestal.

Personne ne peut pourtant contester à Carlos Ghosn son talent de grand patron, considéré depuis plus d’une quinzaine d’années partout dans le monde comme un exemple de chef d’entreprise. Il a fait très fort dans cette carrière de polytechnicien et ingénieur des Mines : diriger trois groupes automobiles dont deux très grands de dimension mondiale, et mener l’ensemble au sommet.

Directeur général du groupe Renault depuis le 28 avril 2005 puis PDG du groupe Renault depuis le 6 mai 2009 (succédant à Louis Schweitzer), il était déjà PDG du groupe Nissan depuis 2001, après l’alliance entre Renault et Nissan (envoyé par Renault pour "sauver" Nissan) et il a pris la présidence du conseil d’administration du groupe Mitsubishi Motors en décembre 2016 après l’alliance avec Nissan. Il a quitté ses fonctions de PDG de Nissan en juin 2017 et reste président du conseil d’administration de Nissan. Par ailleurs, il a piloté une alliance entre Renault-Nissan et le groupe allemand Daimler, et il fut aussi le président du conseil d’administration du groupe russe AvtoVaz (Lada) de juin 2013 à juin 2016.

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Né au Brésil il y a 64 ans, élevé par les pères jésuites à Beyrouth, étudiant à Paris, Carlos Ghosn a brillamment travaillé chez Michelin pendant dix-huit années jusqu’à en devenir le numéro deux. Puis il fut recruté comme directeur général adjoint du groupe Renault en 1996 par Louis Schweitzer : « Chez Michelin, il savait qu’il ne serait jamais numéro un, et l’ambition de Carlos était d’être numéro un. ». Promis à la succession, le nouveau venu s’est fait une réputation très rude de "cost killer" (réducteur de coûts) chez Renault avant d’aller au Japon (à partir de 1999) pour "redresser" Nissan au bord de la faillite en fermant une usine, en  licenciant 21 000 salariés et en mettant en concurrence ses fournisseurs. Le redressement de Nissan, qui affiche maintenant un CA de près de 100 milliards d’euros par an, lui a valu une grande popularité au Japon et même une proposition du Président américain Barack Obama qui l’a appelé personnellement pour lui offrir la présidence de General Motors (proposition que Carlos Ghosn a poliment refusée).

Mener les équipes a fait partie des compétences reconnues de ce grand patron, qui sait parler plusieurs langues (dont l’arabe, le portugais, l’anglais et le français) et adopter le principe très américain de diversité pour enrichir l’entreprise. Il a mené deux ans de rencontres et de consultations de tout le personnel avant de proposer un plan de redressement très large. Néanmoins, l’efficacité n’allait pas forcément avec de bonnes conditions de travail. Loïc Dessaint, analyste financier interrogé par France Culture, a précisé (l’équipe dirigeante était surnommée "les Khmers rouges") : « Ses équipes le servent de façon indéfectible. Il met en concurrence ses propres salariés entre eux. C’est terrible. Il parvient à faire régner une forme de terreur. ». Didier Leroy, ancien membre des équipes transverses chargées de réduire les coûts de production et actuel vice-président de Toyota, a une autre vision des choses : « Il n’engendre pas la peur. Il est très exigeant, mais il apporte du soutien. Ce n’est pas un tueur comme certains pouvaient le prétendre ou le présenter à l’époque. ».

Tout était bon pour le développement de son groupe Renault-Nissan. Carlos Ghosn aurait ainsi négocié directement avec Donald Trump pour ses usines en Iran. Le Président américain lui aurait répondu, selon Antoine Sfeir (récemment disparu) : « Tant que vos voitures en Iran ne rentrent pas aux États-Unis, je n’y vois aucun inconvénient. ». Carlos Ghosn aurait néanmoins promis à Donald Trump une usine Renault aux États-Unis.

Malgré certaines "affaires" (comme le faux espionnage en 2011, et le "dieselgate" en 2015), Carlos Ghosn, qui s’est rendu incontournable tant en France qu’au Japon, a multiplié les prix et récompenses de meilleur PDG du monde, d’homme de l’année, etc. un peu partout (aux États-Unis, au Japon, en France, en Espagne, etc.).

L’action de Carlos Ghosn était donc un exemple de redressement de grandes entreprises en difficulté, fin stratège, grand manager, mais certainement pas un exemple d’intégrité en termes de renseignements (il aurait recruté d’anciens agents de renseignement pour "enquêter" sur ses propres salariés voire ses propres actionnaires), ni en termes de rémunération. L’État français, qui possède 15% des actions de Renault, s’est souvent opposé à lui sur sa rémunération.

Sa rémunération de 2015 (7,2 millions d’euros) a été rejetée par l’assemblée générale des actionnaires du 29 avril 2016 par 54% mais l’avis n’était que consultatif et il a passé outre, provoquant les foudres du Ministre de l’Économie de l’époque, Emmanuel Macron : « Quand des gouvernances sont défaillantes parce qu’elles pensent que tout est permis et qu’il n’y a plus de comportement en responsabilité et en éthique, on est obligé de rouvrir des sujets comme celui de la loi. » (LCP).

Réduisant ses prétentions, Carlos Ghosn a diminué de 20% la part variable de sa rémunération pour 2016, qui fut ainsi approuvée par l’assemblée générale de juin 2017 par 53%. L’État français lui a imposé une baisse de 30% de la part fixe de sa rémunération pour accepter de renouveler le mandat de président de Renault le 15 février 2018 pour une durée de quatre ans encore. Mais c’est la part variable qui est nettement supérieure à la part fixe. L’État a ainsi approuvé la rémunération lors de l’assemblée générale du 15 juin 2018. Ce fut l’actuel Ministre de l’Économie Bruno Le Maire qui a négocié cette baisse : « J’ai dit très clairement à Monsieur Ghosn que nous ne pouvions pas voter pour un dirigeant qui avait des rémunérations aussi élevées. » (CNews).

Ce précédent paragraphe ne concernait que la rémunération en tant que patron de Renault mais Carlos Ghosn gagnait encore plus comme patron de Nissan. C’est simple, il était le patron le mieux payé du Japon. En 2017, il cumulait ainsi deux rémunérations pour un total de près de 16 millions d’euros à comparer aux 5 millions d’euros de moyenne des autres patrons du CAC 40. Il jouait avec les stock-options et aurait utilisé d’autres moyens mondialisés pour compléter ses rémunérations. Selon France Culture : « Carlos Ghosn maîtrise parfaitement les clés de ce capitalisme financier. ».

Parmi les hommes les plus puissants du monde, venant d’investir dans le magazine économique "Challenges" en 2017, Carlos Ghosn était jusqu’à ce lundi 19 novembre 2018 à la tête d’un double voire triple groupe automobile (Renault-Nissan-Mitsubishi) rassemblant 120 000 salariés dans 38 usines situées dans le monde entier, et ayant vendu 10,6 millions de véhicules en 2017, le plaçant au premier rang mondial des groupes automobiles, devant Volkswagen, Toyota et General Motors.

Toute la question tourne désormais sur les conséquences économiques et sociales de cette chute si rapide de la maison Ghosn. Nissan a annoncé une réunion rapide de son comité de direction pour en exclure le président. Renault semble moins rapide dans les procédures mais se cherche déjà un nouveau président. Vivendi a eu du mal à digérer le passage de Jean-Marie Messier. L’avenir de Renault aura une très grande conséquence sur les emplois et sur le climat politique en France, comme cela avait été déjà le cas lorsque Carlos Ghosn avait décidé de fermer l’usine de fabrication de la nouvelle Mégane à Vilvoorde, en Belgique, en 1997 (un site de 3 000 salariés). À l’époque, la France était dirigée par le dernier gouvernement de cohabitation, celui de Lionel Jospin, qui avait exprimé à l’époque l’impuissance de l’État à éviter ces restructurations industrielles.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (19 novembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Enquête de Philippe Reltien du 6 avril 2018 sur France Culture : "Carlos Ghosn : portrait du PDG le mieux payé de France".
Grandeur et décadence de Carlos Ghosn.
Serge Dassault.
La SNCF.
L’industrie de l’énergie en France.
La France est-elle un pays libéral ?
La concurrence internationale.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181119-carlos-ghosn.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/grandeur-et-decadence-de-carlos-209762

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/11/19/36880205.html



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