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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
13 août 2018

Amin Dada, l'ogre-roi d’Ouganda

« Sous des faux airs de géant débonnaire, Amin est un tyran psychopathe, avide et manipulateur. Tour à tour jovial et sanguinaire, il alterne crises de rage et phases de dépression. Les massacres commencent, la terreur s’installe. (…) Amin s’enfonce dans le crime. (…) Il fanfaronne, affabule, conseille ou chapitre le monde entier. » (Jean-Pierre Langellier, "Le Monde" du 11 avril 1999).


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C’était un géant. Cent vingt kilogrammes, un mètre quatre-vingt-onze, neuf fois champion de boxe dans son pays entre 1951 et 1960. Idi Amin Dada est mort il y a quinze ans, le 16 août 2003, à l’hôpital de Jeddah, en Arabie Saoudite, après plusieurs semaines de coma (depuis au moins le 19 juillet 2003). Enterré le même jour à Jeddah. Son âge aurait été de 78 ans, ou plus jeune, ou plus vieux, car sa date de naissance a toujours été tenue pour mystérieuse. À ceux de moins de 40 ans, son nom ne leur dit peut-être pas grand-chose. Dictateur africain sanguinaire des années 1970, il était de la même farine rouge de sang que les Bokassa, les Pol Pot, etc.

Né vers 1925 à Koboko, sur les bords du Nil, au sein de deux minorités en Ouganda, minorité musulmane (5% du pays) et minorité ethnique (Kakwa), analphabète, pauvre, Idi Amin Dada s’est engagé en 1946 comme aide-cuisinier dans l’armée britannique (le Royaume-Uni occupait alors l’Ouganda). Selon "Le Monde", un de ses chefs à l’époque a noté : « C’était un bon bougre, mais plutôt faible en matière grise. ». Il participa aux combats contre les rebelles kenyans en 1953, avec déjà beaucoup de cruauté : « Il apprend à tuer sans bruit, au couteau. (…) D’un coup de machette, il tranche le pénis des récalcitrants. » (Jean-Pierre Langellier).

Il a massacré plusieurs villages et torturé, parfois brûlé vif des rebelles Turkana. Malgré ses exactions, Amin Dada a échappé à tout jugement grâce à la protection de Milton Obote (1925-2005) qui fut ensuite le premier Premier Ministre de l’Ouganda indépendant du 9 octobre 1962 au 15 avril 1966 (les mouvements indépendantistes étaient assez faibles car peu de colons britanniques s’y étaient installés).

En 1961, Amin Dada n’était que lieutenant et Milton Obote l’a promu jusqu’à le nommer chef d’état-major des armées en 1965 avec le grade de général en 1968. Entre temps, il était allé se former en Israël et au Kenya et entraîna les rebelles congolais contre Mobutu. Les Britanniques eux-mêmes voyaient d’un bon œil la promotion d’officiers peu cultivés et donc, plus manipulables après l’indépendance.

Faisant le 2 mars 1966 un putsch pour renverser le roi du Buganda, Muteesa II (1924-1969), installé par les Britanniques le 9 octobre 1962 comme premier Président de la République d’Ouganda, Milton Obote a pris le 15 avril 1966 la Présidence de la République d’Ouganda, suspendit la Constitution, supprima la structure fédérale (composée de plusieurs royaumes), installa un régime autoritaire et centralisé à parti unique et décida de nationaliser la moitié de l’économie ougandaise, un socialisme qui avait de quoi inquiéter le Royaume-Uni et ses alliés économiques.

Le roi et Président déchu Muteesa II, dans son exil londonien, fut retrouvé mort le 21 novembre 1969 par overdose de vodka, probablement assassiné par des hommes de Milton Obote (il fut enterré par Amin Dada avec faste en Ouganda en avril 1971).

La rivalité avec Amin Dada fut de plus en plus grande entre décembre 1969 et janvier 1971. Milton Obote (victime d’une tentative d’assassinat en 1969) chercha à promouvoir de jeunes officiers plus fidèles et plus fiables. Les services secrets israéliens ont aidé Amin Dada en recrutant à son service des milliers d’hommes (des rebelles du Sud-Soudan), ce qui lui a permis de réussir son coup d’État le 25 janvier 1971, alors que Milton Obote était en déplacement au sommet du Commonwealth à Singapour.

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Amin Dada est alors devenu le maître tout-puissant de l’Ouganda, s’attribuant toutes les distinctions, y compris celle de maréchal (en 1975). Il faut reconnaître que cette situation avait la préférence du Royaume-Uni et des États-Unis qui croyaient le nouvel homme fort plus manipulable que le précédent. L’Ouganda a une position géostratégique importante puisqu’il contrôle les sources du Nil. Cette préférence fut de courte durée. Amin Dada commença à massacrer son peuple, parfois de ses propres mains. Ses opposants furent tués à la mitrailleuse, mangés par des crocodiles du Nil, brûlés vif, noyés, torturés, etc.

En mars 1972, Amin Dada changea ses alliances. Rompant désormais avec les Israéliens qui l’avaient pourtant soutenu financièrement et militairement, il se tourna vers un autre dictateur, Mouammar Kadhafi, qui lui apporta beaucoup d’argent. Il expulsa tous les diplomates israéliens d’Ouganda. Le 4 août 1972, il expulsa également les dizaines de milliers de ressortissants indiens et pakistanais (qui faisaient majoritairement tourner l’économie ougandaise). Cette dernière mesure fut populaire mais fit effondrer l’économie ougandaise.

La répression intérieure s’est alors amplifiée, jusqu’à la paranoïa, purgeant jusqu’à son entourage (y compris sa famille), pour conforter sa position. Un exemple parmi d’autres : l’avocat démocrate Benedicto Kiwanuka (1922-1972) fut le Premier Ministre d’Ouganda pendant la transition vers l’indépendance du 2 juillet 1961 au 30 avril 1962, renversé par Milton Obote aux élections d’avril 1962. Il fut pourchassé par son successeur, Milton Obote, qui l’emprisonna entre 1969 et 1971. Libéré par Amin Dada, Benedicto Kiwanuka fut nommé par ce dernier président de la Cour suprême le 27 juin 1971 et il refusa de constater les violations d’État de droit, mais cela ne l’a pas empêché de se faire arrêter, torturer et assassiner le 22 septembre 1972 par Amin Dada après un coup d’État raté organisé par Milton Obote avec l’aide de l’armée tanzanienne.

Dans ces renversements d’alliance, Amin Dada a favorisé la cause palestinienne, au point d’offrir, à l’aéroport international d’Entebbe (à une trentaine de kilomètres au sud de Kampala), un point de chute pour l’Airbus du vol 139 de la compagnie Air France de Tel Aviv à Paris, détourné le 27 juin 1976 par un commando palestinien qui a exigé la libération de prisonniers palestiniens. Finalement un commando israélien a réussi le 4 juillet 1976 à s’emparer de l’avion et à libérer 252 des 256 passagers et membres d’équipage (les quatre autres ont été tués). Le raid israélien a également détruit l’aviation ougandaise. Le seul soldat israélien tué dans cette opération fut le colonel Jonathan Netanyahou, le frère de l’actuel Premier Ministre israélien Benyamin Netanyahou. En réaction à cette victoire israélienne, Amin Dada a fait exécuter des centaines d’officiers et de fonctionnaires pour incompétence. Il a fait aussi assassiner Janani Luwum (1922-1977), l’archevêque de l’Église anglicane d’Ouganda, ainsi que deux ministres, Enrinayo Wilson Oryema et Charles Oboth Ofumbi, le 17 février 1977.

Amin Dada tenta aussi d’islamiser son pays, sans succès, en compensation de l’argent fourni par les monarchies pétrolières qui ont financé la construction de plusieurs mosquées en Ouganda. Sur le plan international, il est pourtant parvenu à se faire respecter, en organisant, en juillet 1975 à Kampala, la conférence de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), où il proposa beaucoup de festivités annexes comme un rallye automobile ou l’élection de Miss OUA, et en prononçant un discours à l’Assemblée Général des Nations Unies en octobre 1975 à New York. Il se permettait même de donner des leçons à Léonid Brejnev, à Mao Tsé-Toung, à Richard Nixon, à Kurt Waldheim, à la reine Élisabeth II, etc.

Sa guerre contre la Tanzanie, déclarée le 30 octobre 1978, fut une de trop (Milton Obote a tenté de reconquérir son pouvoir par la Tanzanie). Après avoir rapidement envahi la Tanzanie, Amin Dada fut débordé par la riposte tanzanienne, et a dû fuir l’Ouganda le 11 avril 1979, pour se réfugier pendant un an en Libye (atteinte via le Zaïre), puis, passer par l’Irak et s’exiler finalement en Arabie Saoudite où, grassement rémunéré par les Saoudiens au nom de la "solidarité islamique", il passa vingt-quatre années de retraite dorée sans jamais avoir été inquiété et sans avoir jamais été jugé ni condamné pour ses nombreux assassinats (Ben Ali semble suivre cette même destinée).

Amin Dada n’a jamais éprouvé de remords. Il l’a déclaré à un journaliste italien déterminé, Riccardo Orizio, qui a réussi le tour de force de le rencontrer en 1997 malgré les nombreux obstacles : « Je me consacre à la religion, et à rien d’autre. Je récite le Coran, joue de l’orgue, j’aime nager et pêcher dans une station balnéaire à côté de la frontière yéménite. Les poissons y sont délicieux, croyez-moi. Une vie paisible. (…) Je n’ai pas de remords, seulement de la nostalgie. » (dans son livre "Talk of the Devil. Encounter with Seven Dictators", de Riccardo Orizio, sorti en avril 2003, peu avant la mort d’Amin Dada).

En revanche, Jeffery Amin (51 ans), l’un des quarante à soixante enfants d’Amin Dada, a fait des excuses publiques devant de nombreux responsables religieux, à la fin mai 2015 à Arua (au nord de l’Ouganda), pour les atrocités commises par son père.

Après sa fuite, Milton Obote a repris le pouvoir à la tête de l’Ouganda du 17 décembre 1980 au 27 juillet 1985, continuant à imposer un régime de terreur. Ce qui a fait dire à Amin Dada en février 1981 : « Depuis que je suis parti, les droits de l’homme ne sont plus respectés en Ouganda. ». La guérilla contre les milices proches d’Amin Dada au nord du pays et contre les milices de Yoweri Museveni au sud du pays, ont fait entre 200 000 et 300 000 morts entre 1980 et 1985. Milton Obote fut renversé par son chef d’état-major Tito Okello mais lui-même fut renversé par Yoweri Museveni le 26 janvier 1986.

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Sous sa dictature, Amin Dada s’était autoproclamé Président à vie en 1976, "dernier roi d’Écosse", "conquérant de l’Empire britannique", "Big Daddy", docteur, chancelier de l’Université Makerere, etc. et même "l’envoyé de Dieu sur Terre" !

Amin Dada était-il fou ? Probablement. Et certainement provocateur aussi. En 1981, de manière totalement fantasque, il proposa d’affronter en combat de boxe le champion Muhammad Ali à Tripoli avec Kadhafi pour arbitre, Khomeiny pour annonceur et Yasser Arafat pour entraîneur ! (Yasser Arafat fut le témoin du cinquième mariage d’Amin Dada, en juillet 1975, avec une jeune femme dont le mari avait mystérieusement disparu peu de temps après que le dictateur l’avait découverte).

Le journaliste Jean-Pierre Langellier a décrit le pays lors de sa "libération" en avril 1979, en particulier à Kampala : « À deux pas de la résidence de l’ambassadeur de France, l’odeur de la mort se mêle aux parfums entêtants des bougainvillées. (…) Une poignée de détenus racontent comment ils ont survécu plus d’un mois en mangeant les cadavres qui gisaient autour d’eux. Dans les cachots et dans le jardin, une trentaine de corps se décomposent. Un caniveau est plein de sang séché. C’est là que les prisonniers étaient exécutés en file indienne, chacun devant d’abord transporter le corps de celui qui l’avait précédé dans la mort. ».

Le bilan est effroyable, entre 150 000 et 500 000 personnes (probablement 300 000 personnes) ont péri à cause d’Amin Dada. Les rumeurs les plus folles sembleraient réalité. Ainsi, le professeur John Kibukamusoke, l’ancien médecin personnel d’Amin Dada entre 1971 et 1973, réfugié en Zambie (devenu spécialiste en médecine tropicale et en néphrologie à l’Université Makerere à Kampala), affirma en avril 1977 que le dictateur avait mangé une partie du foie de son ancien Ministre des Affaires étrangères Michaël Ondaga, retrouvé sans vie dans le Nil avec une large incision dans le ventre au niveau du foie. Des têtes d’opposants ont été retrouvées dans son congélateur, car il aimait converser avec elles.

L’ancien Ministre britannique des Affaires étrangères (entre le 22 février 1977 et le 4 mai 1979), Lord David Owen, qui a rompu les relations diplomatiques avec l’Ouganda, a confié qu’il avait proposé l’assassinat ciblé d’Amin Dada (proposition rejetée pour son gouvernement dirigé par James Callaghan) en se justifiant : « Je n’ai pas honte de l’avoir envisagé, car son régime est descendu, dans l’échelle de Pol Pot, comme l’un des pires régimes africains. (…) C’est un dossier effroyable et c’est une honte qu’on lui ait permis de se maintenir aussi longtemps au pouvoir. » (Entretien à la BBC le 16 août 2003).

Quant à la situation économique, Amin Dada a laissé un pays contaminé par la corruption généralisée, une dette abyssale, une inflation de plus de 200% et une activité de production quasiment inexistante, tant agricole qu’industrielle.

Notons pour terminer que l’actuel Président de la République d’Ouganda est Yoweri Museveni (74 ans le 15 août 2018), en fonction depuis le 26 janvier 1986, officiellement élu et réélu cinq fois (le 9 mai 1996, le 12 mars 2001, le 23 février 2006, le 16 février 2011 et le 18 février 2016) et que son mandat se terminera en principe en 2021. Venu au pouvoir en renversant Milton Obote, il avait toujours refusé le retour d’Amin Dada en Ouganda, sauf à y être jugé et condamné. Dans sa politique africaine, Yoweri Museveni a soutenu l’arrivée au pouvoir de Paul Kagamé au Rwanda et de Joseph-Désiré Kalié au Zaïre (contre Mobutu).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 août 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
"L’Ubu noir", article de Jean-Pierre Langellier dans "Le Monde" du 11 avril 1999.
Karl Marx.
Mao Tsé Toung.
Aldolf Hitler.
Joseph Staline.
Pol Pot.
Kim Jong-un.
Saddam Hussein.
Mouammar Kadhafi.
Bachar El-Assad.
Ferdinand Marcos.
Francisco Franco.
Augusto Pinochet.
Fidel Castro.
Hugo Chavez.
Mahmoud Ahmadinejad.
Rouhollah Khomeiny.
Pieter Botha.
Philippe Pétain.
Pierre Laval.
Idi Amin Dada.
Jean-Bedel Bokassa.
Robert Mugabe.
François Duvalier.
Léonid Brejnev.
Saparmyrat Atayewic Nyyazow.
Laurent Gbagbo.
Zine el-Abidine Ben Ali.
Hosni Moubarak.
Alexandre Loukachenko.
Louis-Antoine de Saint-Just.
Dictature de la pensée unique.
Nicolas Sarkozy était-il un dictateur ?
François Hollande était-il un dictateur ?

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180816-amin-dada.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/amin-dada-l-ogre-roi-d-ouganda-206610

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/08/22/36603218.html



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