Les institutions à l’épreuve du coronavirus Covid-19
« Le temps, aujourd’hui, est à la protection de nos concitoyens et à la cohésion de la Nation. Le temps est à cette union sacrée qui consiste à suivre tous ensemble un même chemin, à ne céder à aucune panique, aucune peur, aucune facilité, mais à retrouver cette force d’âme qui est la nôtre et qui a permis à notre peuple de surmonter tant de crises à travers l’histoire. La France unie, c’est notre meilleur atout dans la période troublée que nous traversons. Nous tiendrons tous ensemble. » (Emmanuel Macron, le 12 mars 2020 à l’Élysée).
Paysage de désolation. C’est comme si nous étions entrés au plein milieu d’un film catastrophe en oubliant de voir le début, les prémices. Rumeurs de confinement total. Pour ajouter à l’angoisse, un modèle mathématique (seulement mathématique) de l’Imperial College de Londres a projeté 300 000 à 500 000 morts en France du coronavirus Covid-19/SARS-CoV-2 "en absence de mesures de prévention d’endiguement". Il faut dire que ce week-end, le beau temps (balades et prélassements dans les parcs) et le premier tour des élections municipales n’ont pas été des facteurs très efficaces de confinement, c’est le moins qu’on puisse dire. Le Président Emmanuel Macron s’exprimera ce lundi 16 mars 2020 à 20 heures à la télévision. Une nouvelle étape ? Revenons à sa précédente communication aux Français, le 12 mars 2020.
Mesdames et Messieurs les candidats permanents à l’élection présidentielle, voulez-vous toujours vous présenter ? Car qui, aujourd’hui, voudrait se retrouver à la place du Président Emmanuel Macron et du Premier Ministre Édouard Philippe en pleine pandémie du coronavirus Covid-19 ? Niveau de responsabilité maximal.
Certes, diriger un pays, surtout un grand pays, c’est inévitablement se trouver dans des situations imprévues, graves et urgentes. Récemment, Nicolas Sarkozy et François Fillon s’étaient retrouvés en plein krach boursier mondial le 15 septembre 2008. Leurs successeurs, François Hollande et Manuel Valls, ont dû affronter les graves attentats islamistes, en particulier "Charlie Hebdo" (7 janvier 2015), Bataclan (13 novembre 2015) et Nice (14 juillet 2016). Mais ce que vivent Emmanuel Macron et Édouard Philippe est évidemment bien plus grave car c’est l’intégrité physique de tous Français dont ils ont la "garde", dont ils doivent assurer la protection, qui est en jeu. C’est en quelques sortes les deux imprévus graves de leurs prédécesseurs "en même temps" : un danger imminent pour chaque citoyen français et un risque de crise économique généralisée.
Il est bien trop tôt de tirer des leçons de l’épidémie du coronavirus SARS-CoV-2 (de la maladie Covid-19) car la tragédie n’est qu’à son début, mais peut-être oserais-je dire qu’il y a eu quelques semaines de retard de prise de conscience de la gravité ? Prise de conscience collective. Il y a eu juste des personnes qui ont perçu plus vite que d’autres la gravité. Notamment certains médecins en prise directe.
Emmanuel Macron a d’ailleurs proposé tout un programme révolutionnaire une fois le cauchemar terminé : « Mes chers compatriotes, il nous faudra demain tirer les leçons que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos démocraties. ». Sur trois plans : la santé, la mondialisation et l’Europe.
La santé : « Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre État-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. ». Exit l’idée de "pognon de dingue".
La mondialisation : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie. ». Le mot est fort : "une folie".
L’Europe : « Nous devons en reprendre le contrôle, construire plus encore que nous ne le faisons déjà une France, une Europe souveraines, une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en main. Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les assumerai. ». Là encore, le mot "rupture" est très fort.
Emmanuel Macron semble attirer les situations nouvelles imprévues. Certes, l’affaire Benalla, l'affaire De Rugy, l'affaire Griveaux etc. sont ordinaires et si la première a été le premier grain de sable de la Macronie triomphante, cassant la mécanique d’une réforme institutionnelle à l’origine bien mal conçue, les autres n’ont pas eu vraiment beaucoup d’effets sur le plan national. Mais que dire de la crise des gilets jaunes, mouvement social inédit et durable ? Que dire aussi de la forte intensité des grèves contre cette réforme systémique des retraites dans un pays qu’on disait apathique (mais les retraites touchent tous les Français, pas seulement une catégorie de Français) ? Et depuis deux mois, le coronavirus occupe l’esprit des gouvernants, à plein temps depuis quelques semaines. L’esprit des gouvernants et des gouvernés. Toutes les vies quotidiennes sont bouleversées, toutes les relations personnelles sont impactées.
L’importance d’une allocution présidentielle très formelle (texte intégral ici), prononcée en direct (au point que les sous-titres ont été inscrits en direct selon une méthode sténo impressionnante dont j’avais déjà eu l’occasion de voir l’efficacité lors d’une conférence parisienne), a été le véritable déclencheur d’une prise de conscience nationale : « Cette épidémie (…) est la plus grave crise sanitaire qu’ait connue la France depuis un siècle. ».
On comprend très bien que le gouvernement a tout essayé pour préserver l’économie nationale des risques de récession, mais refuser la logique implacable des statistiques des épidémies était particulièrement optimiste : « Dans ce contexte, l’urgence est de protéger nos compatriotes les plus vulnérables. L’urgence est de freiner l’épidémie afin de protéger nos hôpitaux, nos services d’urgence et de réanimation, nos soignants qui vont avoir à traiter (…) de plus en plus de patients atteints. Ce sont là nos priorités. C’est pour cela qu’il nous faut continuer de gagner du temps et suivre celles et ceux qui sont les plus fragiles. Protéger les plus vulnérables d’abord. C’est la priorité absolue. ».
Ce fut la dernière semaine de février 2020 qu’on a invité les Français à se protéger par des gestes barrières, mais qui acceptaient facilement de les respecter ? Beaucoup, à l’époque, disaient qu’on en faisait trop, que les médias en faisaient trop, que le gouvernement en faisait trop, que le Covid-19 n’était qu’une grippette un peu plus sévère qu’une autre. Quelle erreur !
La réalité, c’est que l’Europe compte aujourd’hui plus de personnes infestées que n’a connues la Chine depuis le début de l’épidémie. La situation de l’Italie (+368 morts rien que pour la journée du 15 mars 2020, le nombre de morts est déjà égal à la moitié de ceux en Chine, et cela continue, hélas) et de l’Espagne est catastrophique, celle de la France, Allemagne, Royaume-Uni et États-Unis à peine plus enviable. Seulement un retard.
En trois jours, les mesures ont été de plus en plus contraignantes : le 12 mars 2020, Emmanuel Macron annonce la fermeture des écoles, collèges, lycées et universités à partir du 16 mars 2020. Le 13 mars 2020, les rassemblements de plus 100 personnes sont interdits (passage de 1 000 à 100), et le 14 mars 2020, Édouard Philippe n’attend même pas la fin du scrutin du premier tour des élections municipales pour fermer tous les commerces non essentiels (lire précisément l’arrêté ici).
Qu’en sera-t-il demain ? ce soir ? Ce lundi 16 mars 2020 matin sur France Inter, le directeur général de la santé, le professeur Jacques Salomon, a considéré que la situation était très grave et alarmante. Les rumeurs de confinement total sont persistantes. Le fait que depuis plus d’un mois, le gouvernement associe systématiquement ses décisions aux avis d’un "comité scientifique" aussi impersonnel qu’inquiétant n’est pas non plus de nature à rassurer. Il y a quelques jours, un médecin à qui l’on avait posé la question : "Faut-il quand même maintenir les élections municipales ?" avait sagement répondu : "Cela sort de mon domaine de compétence". Annuler une élection, c’est du ressort politique, pas sanitaire. Ce n’est pas le comité scientifique qui assumera politiquement les décisions prises par le gouvernement, alors pourquoi vouloir autant l’associer ?
Les mesures de confinement sont nécessaires puisque le coronavirus ne se retransmets que de personnes à personnes. Mais alors, pourquoi ne pas avoir reporté les élections municipales ? D’un point de vue technique, je peux assurer qu’il y a eu très peu de risque. J’ai tenu un bureau de vote, les votants étaient particulièrement concernés et avaient quasiment tous leur stylo pour émarger la liste électorale. Ils étaient raisonnables et faisaient tous attention. Malgré cela, on peut comprendre que certains y trouvent une contradiction, car parallèlement, on recommande aux personnes de plus de 70 ans de ne pas sortir de chez eux sauf extrême nécessité (comme acheter de quoi manger). De là à conclure qu’aller voter serait une extrême nécessité…
Le problème a été les partis d’opposition. Ni Gérard Larcher (Président du Sénat), ni Laurent Fabius (Président du Conseil Constitutionnel) n’ont voulu assurer le Président Emmanuel Macron de leur soutien en cas de contestation sur un éventuel report des élections municipales. Et pourtant, cela aurait été le plus sage. Surtout parce que toute la réorganisation sociale qu’implique la fermeture des écoles est réalisée avant tout par les familles, les employeurs mais aussi les élus locaux, ceux qui connaissent la réalité du terrain, or, dans quelques jours, ce sont des élus nouveaux qui vont devoir comprendre les leviers avant de pouvoir les manipuler. Les équipes sortantes étaient plus aptes à résoudre les mille et un problèmes que les mesures de confinement et de distanciation sociale ont provoqués ou vont provoquer à l’avenir.
Et pourtant, Emmanuel Macron avait besoin d’un consensus sur ce sujet du report des élections municipales, comme il l’a cité à plusieurs reprises à la fin de son allocution de "l’union sacrée", de la "France unie", du "tous ensemble". Il ne pouvait pas se permettre d’être pris pour un dictateur qui mépriserait le droit électoral. Une France désunie rendrait moins efficaces les mesures de restriction pour éviter la propagation du coronavirus. À l’issue du premier tour, ce sont ceux qui ont insisté pour ne pas reporter les élections qui sont les premiers à demander le report du second tour. Histoire de se dédouaner de leurs responsabilités. Le plus démonstratif est sans doute Jean-Luc Mélenchon qui a tenté de se justifier en disant que la situation sanitaire avait évolué… C’était pourtant dès depuis le début de ce mois qu’on aurait pu imaginer la catastrophe…
Cette épidémie a certes réduit à néant de nombreux mois ou années d’efforts difficilement acquis pour respecter l’environnement : retour aux bouteilles d’eau minérale en plastique, retour aux lingettes pour désinfecter, etc. Mais la force majeure est l’urgence dans la protection des vies humaines.
Emmanuel Macron a d’ailleurs changé aussi de paradigme sur son orthodoxie budgétaire affichée (mais peu appliquée dans les faits). Il est passé du "en même temps" au "quoi qu’il en coûte" : « Le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour porter assistance, pour prendre en charge les malades, pour sauver des vies quoi qu’il en coûte. Beaucoup des décisions que nous sommes en train de prendre, beaucoup des changements auxquels nous sommes en train de procéder, nous les garderons parce que nous apprenons aussi de cette crise, parce que nos soignants sont formidables d’innovation et de mobilisation, et ce que nous sommes en train de faire, nous en tirerons toutes les leçons et sortirons avec un système de santé encore plus fort. ».
C’est dans l’adversité que les grands hommes (ou grandes femmes) ont rendez-vous avec l’histoire. Je ne sais pas si Emmanuel Macron en fera partie, c’est trop tôt pour l’écrire, mais je suis convaincu qu’il a conscience de cet enjeu-ci : l’année 2020 sera une année véritablement révolutionnaire…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (16 mars 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Communication du Président Emmanuel Macron le 16 mars 2020 à la télévision (texte intégral).
Toutes les mesures de restriction pour réduire la propagation du coronavirus en France (14 mars 2020).
Allocution du Président Emmanuel Macron le 12 mars 2020 au Palais de l’Élysée (texte intégral).
Les institutions à l’épreuve du coronavirus Covid-19.
La guerre contre le séparatisme islamiste engagée par Emmanuel Macron.
La 5e Conférence nationale du handicap le 11 février 2020 à Paris.
Emmanuel Macron et la France de 2020 en effervescence.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200312-macron.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-institutions-a-l-epreuve-du-222310
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/03/16/38104293.html