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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
17 avril 2021

Raoult : disparition d’un militant très engagé et clivant

« Que préfère-t-on : la matraque ou le dialogue ? En respectant la coutume des palabres, elle favorise l’apaisement. »



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L’électron libre, considéré par ses proches comme un "homme rond à l’allure joviale", a été récompensé le 17 mars 2009 "pour l’ensemble de son œuvre" par le prix principal des "Y’a bon Awards" qui sélectionne les petites phrases les plus xénophobes de l’année. Cette récompense a été créée par l’association des Indivisibles, présidée par Rokhaya Diallo, et a honoré cette année-là un ancien ministre qui trouvait « logique et bienvenue » que Rama Yade eût voulu dialoguer avec des squatteurs d’origine africaine.

L’ancien ministre Éric Raoult est mort à l’hôpital de Saint-Denis ce vendredi 16 avril 2021 à l’âge de 65 ans (il est né à Paris le 19 juin 1955). Son parcours politique très typique d’un militant "de base" étonne par sa rapide ascension (député à 30 ans, ministre à 40 ans), mais aussi par sa encore plus rapide descente électorale.

Son épouse qui, le 22 juin 2012, l’avait accusé de violences conjugales (il s’était retrouvé en garde-à-vue le 10 octobre 2012, et fut relaxé le 21 février 2014 par le tribunal correctionnel de Bobigny), a évoqué sa disparition comme une conséquence de la trahison politique de ses anciens amis : « Son état s’est aggravé subitement ce matin. Il n’est pas mort du covid, mais de ses soucis de santé. Son cœur a lâché, d’épuisement. Il est mort d’avoir été trahi, d’avoir été mis de côté par tous ceux qu’il avait mis en selle, puis qui ne l’ont pas été. J’ai été la seule derrière lui. ». Son état de santé avait en fait décliné dès 2012 où il a été hospitalisé dans un état "semi-comateux" après son échec aux élections législatives.

Ce qui est très significatif, c’est que les deux premières personnalités politiques à lui rendres hommage se caractérisent plutôt par un engagement très marqué à droite : Thierry Mariani, ancien député et ministre UMP qui a rejoint le RN en 2019 pour se faire élire député européen et actuelle tête de liste RN aux régionales de 2021 en PACA (devançant dans les sondages la liste LR menée par Renaud Muselier) : « C’était un homme profondément généreux et bon… rare en politique (…). Je perds un ami avec qui nous avions lancé La Droite populaire. ». Et Éric Ciotti, député LR et ancien président du conseil départemental des Alpes-Maritimes : « Compagnon gaulliste (…), il était animé par une certaine idée de la France. Éric n’a jamais renié ses convictions. ». Son enterrement a lieu le 21 avril 2021 au Raincy.

Éric Raoult a adhéré au parti gaulliste (à l’époque UDR puis RPR) à l’âge de 19 ans. Il fut un militant du RPR à une époque où le RPR n’était pas au pouvoir, ou du moins, ne contrôlait pas le pouvoir. Il a commencé par des études à Assas dont il fut le responsable de l’UNI, syndicat de la droite "musclée" dans une université particulièrement à droite (l’UNI n’était pas le syndicat étudiant le plus à droite). Il fut diplômé en 1981 de l’IEP Paris.

Dès mars 1977, il fut élu adjoint au maire du Raincy, une commune de Seine-Saint-Denis, un département qui fut dirigé par les communistes pendant très longtemps. Il fut élu municipal du Raincy de 1977 à 2020. En mars 1983, il fut élu premier adjoint, puis, en mars 1995, maire pendant trois mandats. En 1983, il fut aussi responsable national des jeunes du RPR.

Il fut des militants qui combattaient durement la gauche, en raison de ses idées "musclées" et de son implantation locale dans un département "très à gauche". C’était peut-être cette caractéristique qui lui a permis de gravir rapidement les marches électives. La Seine-Saint-Denis était une terre de mission pour le RPR, ce qui faisait qu’il avait peu de "rivaux" internes.

Jeune espoir de la droite d’opposition, il fut élu député de Seine-Saint-Denis à l’âge de 30 ans en mars 1986, grâce au scrutin proportionnel. Son véritable exploit a été d’avoir été réélu député de Seine-Saint-Denis en juin 1988, avec 52,2% dans la 12e circonscription (Livry-Gargan, Montfermeil, Le Raincy), dans un duel au second tour l’opposant à Isabelle Thomas (PS), l’égérie du mouvement étudiant contre le projet de loi Devaquet. Et il fut ensuite réélu en mars 1993 avec 68,2%, puis battu dans une triangulaire avec le FN par Alain Calmat, un ancien ministre socialiste, en juin 1997 (battu avec 40,6% contre 44,0% au PS). Il a pris sa revanche en juin 2002 en battant Alain Calmat avec 52,8%, réélu en juin 2007 avec 53,8% mais encore battu par le candidat socialiste en juin 2012 avec seulement 45,9% (avec pour suppléant l’avocat Francis Szpiner). En juin 2017, c’est le candidat de LREM qui a gagné avec 53,0% contre le candidat UDI soutenu par LR (au premier tour, il y avait pour le FN Jordan Bardella 15,1% et pour FI Juan Branco 13,9%).

Pendant ces cinq mandats parlementaires, il fut un parlementaire plutôt actif. Encore à la fin de son dernier mandat, le 12 juin 2012, il a posé sept questions écrites au nouveau gouvernement socialiste. Vice-président de l’Assemblée Nationale en 2004-2005, ferme promoteur du débat sur l’identité nationale en 2009, Éric Raoult a été plutôt "modéré" sur le voile intégral.

En effet, il fut l’un des deux rapporteurs de la mission d’information créée le 23 juin 2009 sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national qui a fait l’objet d’un rapport déposé le 26 janvier 2010. Dans la conclusion de ce rapport, il a expliqué : « Une loi d’interdiction générale et absolue du port du voile intégral dans l’espace public est-elle possible et souhaitable ? Peut-on interdire le niqab dans l’espace public, au motif que le port du voile intégral est contraire à la dignité humaine ou à la conception que la France se fait de la condition de la femme ? Ce serait sans doute, au fond, la meilleure traduction de ce que nous, républicains, pensons. Mais si j’en crois les juristes, un tel fondement juridique ne serait pas exempt de fragilités. Une telle interdiction pourrait être analysée (…) comme une restriction à la liberté de manifester ses convictions. ».

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Lors d’une question au gouvernement le 21 mai 2009, Éric Raoult s’était par ailleurs inquiété des violences qui voulaient imposer un boycott de produits fabriqués en Israël : « Depuis plusieurs mois, des intrusions violentes de groupes d’extrême gauche accompagnés parfois d’élus, notamment Verts, se multiplient dans les centres commerciaux, dans le but d’appeler au boycott de produits israéliens. (…) Ces agissements anti-israéliens ont un fort relent d’antisémitisme. Ils sont inadmissibles et ont ému et inquiété la communauté juive de France, notamment en banlieue. ».

De l’aile droite du RPR, Éric Raoult prônait dans les années 1980 une alliance entre le RPR et le FN pour éviter à tout prix les victoires électorales de la gauche. Il faut insister sur le fait que le FN avait (et garde) une forte audience dans son département. Pendant longtemps, dans les années 1990 et 2000, la droite et le centre en Seine-Saint-Denis étaient dirigés par Éric Raoult (pour le RPR) et Jean-Christophe Lagarde (pour l’UDF), qui lui fut élu député à partir de 2002 (il l’est resté jusqu’à maintenant), dans une circonscription longtemps occupée par les communistes et avec parfois des seconds tours entre un candidat PCF et un candidat FN. Dans la première moitié des années 1990, il s’est spécialisé dans les questions sur la politique de la ville et des quartiers dits "difficiles".

Raoult sectaire ? Peut-être pas si l’on en juge par sa première épouse, pendant une douzaine d’années (1990 à 2002), qu’il a connue comme collaboratrice d’un député européen, mais qui fut surtout une personne engagée à l’UDF, élue d’arrondissement à Paris pendant vingt-trois ans (de 1983 à 2007), ancienne collaboratrice (dès 1977) de ministres (Jacques Dominati, Yves Galland) ou de députés (Gérard Longuet, Charles Millon). Elle a réussi à entrer à l’ENA par le tour extérieur, collabora ensuite dans les cabinets d’autres ministres (Charles Pasqua, Jean-Louis Debré, Dominique Bussereau), Elle a même géré la prévention de la grippe aviaire de septembre 2005 à avril 2006, et fut ensuite nommée préfète de 2007 à 2020 (à Dignes, puis Périgueux, La Rochelle, Angers et Melun)…

La consécration d’Éric Raoult a eu lieu en 1995 avec la victoire de Jacques Chirac à la Présidence de la République. Il fut nommé Ministre chargé de l’Intégration et de la Lutte contre l’exclusion du 17 mai 1995 au 7 novembre 1995, puis Ministre délégué à la Ville et à l’Intégration (auprès du ministre Jean-Claude Gaudin) du 7 novembre 1995 au 2 juin 1997 dans les gouvernements dirigés par Alain Juppé. Proche de Nicolas Sarkozy (avec qui il avait passé son service militaire en 1978), Éric Raoult n’est pas revenu, cependant, au gouvernement. 

Parallèlement à ses fonctions de ministre, il fut élu maire du Raincy en juin 1995, réélu en mars 2001 et mars 2008 (jusqu’en mars 2014). Il a fait de sa ville un petit oasis en plein Seine-Saint-Denis, mais n’a pas respecté la loi SRU qui impose aux communes de réserver 20% de ses logements (maintenant 25%) en logements sociaux. Il a même lancé, pour ceux qui ne respectaient pas la loi SRU : « Et pourquoi pas la castration chimique pour les maires hors-la-loi ? » (plus sérieusement, son collègue député-maire de Drancy, Jean-Christophe Lagarde, proposait plutôt l’inéligibilité des maires qui ne respectaient pas ce taux, ce qui serait beaucoup plus efficace que des sanctions financières que les habitants pourraient être prêts à payer pour éviter trop de logements sociaux).

Pendant longtemps, Éric Raoult n’a pas hésité à prendre des positions tranchées, provoquant parfois des polémiques : il a cosigné une proposition de loi rétablissant la peine de mort pour les terroristes (le 8 avril 2004) ; il a soutenu la politique du Premier Ministre israélien Ariel Sharon en 2004 ; il a été le seul maire à décréter le couvre-feu lors des émeutes de novembre 2005 (sa commune était pourtant épargnée par les violences, a précisé "Le Monde" dans sa biographie) ; il a soutenu le Président tunisien Ben Ali en 2009, puis en 2011 après son renversement ; il a aussi critiqué la liberté d’expression pour les lauréats du Prix Goncourt en évoquant un fantaisiste "droit de réserve" pour les artistes ; il a proposé en 2013 la candidature de Nicolas Sarkozy au Prix Nobel de la Paix pour que soit reconnue « la part essentielle de [son] action internationale durant son quinquennat ».

L’année 2012 fut le commencement de son éviction de tous les mandats ou fonctions politiques qu’il exerçait. Il était en effet député de Seine-Saint-Denis, maire du Raincy et président de la fédération de l’UMP de Seine-Saint-Denis. Petit à petit, il les a perdus en moins de deux ans. Il fut battu aux législatives en juin 2012 et en mars 2014, il fut "victime" d’une révolution de palais au sein même de la municipalité du Raincy, ses anciens adjoints ont fait une liste contre lui, contestant sa manière autocratique de gérer la ville.

Cette perte de confiance s’est fait également dans un contexte personnel difficile, des pépins de santé (AVC), un procès pour violences conjugales (il fut relaxé quelques jours avant l’élection mais cela lui a fait une très mauvaise publicité), une histoire de harcèlement par une ancienne agente de la ville. Résultat, il fut battu et a perdu sa mairie. Enfin le 10 avril 2014, il fut évincé de la présidence de la fédération de l’UMP de Seine-Saint-Denis et remplacé par le sénateur Philippe Dallier et par Bruno Beschizza.

Aux élections municipales au Raincy en 2014, ce fut la descente aux enfers pour Éric Raoult. Si, au premier tour du 23 mars 2014, sa liste a eu la première place avec 32,9%, ce ne fut qu’avec 43 voix d’avance sur une liste divers droite qui a finalement remporté l’élection au second tour du 30 mars 2014 avec 54,4% dans une triangulaire (en présence de la liste socialiste), grâce au ralliement d’une liste menée par un ancien adjoint d’Éric Raoult qui avait obtenu 20,8% au premier tour. La liste d’Éric Raoult n’a fait que 35,9%. Le soir de sa défaite, le maire sortant a fait une tentative de suicide.

Douze jours après cette défaite cinglante, l’ancien ministre avouait au journal "Le Parisien" : « Aujourd’hui, j’essaie de me reconstruire. J’espère sortir à la fin du mois [il était dans une maison de repos]. Il faut aussi que j’aille m’inscrire à Pôle Emploi car je n’ai plus aucune ressources. ». Le conseil départemental des Hauts-de-Seine (présidé par Patrick Devedjian) l’a "repêché" comme chargé de mission sur les écoles de la seconde chance (à partir de septembre 2014).

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Depuis ses défaites électorales ou internes à son parti, Éric Raoult n’a jamais cessé de rêver d’une revanche. Le 31 janvier 2016, il fut battu pour être le délégué LR de sa circonscription (au profit d’un proche collaborateur de Bruno Beschizza), ce qui l’a empêché d’être candidat aux élections législatives de juin 2017. En revanche, il s’est présenté le 24 septembre 2017 aux élections sénatoriales en Seine-Saint-Denis, menant la liste "Fidélité et amitié pour le 93 d’abord, pour un Sénat aux couleurs de la France. Indépendance et République" (son épouse était à la sixième place sur huit). Nouvelle gifle électorale car il n’a obtenu que 19 voix de grands électeurs, soit seulement 0,9%. Pourquoi il s’était présenté : « Cela n’a d’autre sens et d’ambition, que celui d’être utile, de par mon expérience d’élu local et national, non seulement pour les élus locaux (…), mais également pour tous les habitants du département. ».

Malgré ces échecs à répétition, Éric Raoult s’est présenté une nouvelle fois aux élections municipales de 2020. Au premier tour du 15 mars 2020, la liste d’Éric Raoult n’a obtenu que 12,2% avec une forte abstention (61,4%). Cette liste a fusionné avec la lise LR qui avait obtenu 15,2% (Éric Raoult était alors en cinquième place), mais cette liste n’a eu que 2 sièges avec seulement 13,5% au second tour du 30 juin 2020 (moins qu’au premier tour) avec une abstention de 61,8%. (À noter que dans ce scrutin, même au premier tour, la gauche était absente).

« La politique, ce n’est pas une science exacte, c’est une science humaine. »


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 avril 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Éric Raoult.
Nicolas Sarkozy.
Droite populaire.
Alain Devaquet.
Olivier Dassault.
Philippe Douste-Blazy.
Gilles de Robien.
Alain Madelin.
Jean-Louis Borloo.
Michel d’Ornano.
Louis Joxe.
Serge Dassault.
Gérard Longuet.
Olivier Stirn.
Édouard Philippe.
Jean Castex.
Jacques Chirac.
Bernard Debré.
Christian Poncelet.
Patrick Devedjian.
Philippe De Gaulle.
Charles De Gaulle.
Valéry Giscard d'Estaing.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210416-eric-raoult.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/raoult-disparition-d-un-militant-232404

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/04/16/38923956.html









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